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nous ne saurions repousser, quoiqu’il ne nous soit pas possible de les démontrer. Un soir qu’à Paris il soupait chez le baron d’Holbach, on vint à parler de la religion naturelle ; Hume déclara que pour sa part il n’avait jamais rencontré d’athée. On sait la réponse de son hôte. « Parbleu, vous avez de la chance ; pour la première fois vous en rencontrez dix-sept du même coup. » Hume ne demanda point à être compté comme le dix-huitième. Dix ans auparavant, il se trouvait à Londres lorsque lui arriva la nouvelle de la mort de sa mère ; son ami Boyle, frère du comte de Glasgow, témoin de la douleur profonde où le jeta cette perte, exprima le regret qu’il ne pût trouver de consolation dans les croyances chrétiennes sur la destinée des justes et sur la vie future. « Ah ! mon ami, dit Hume en sanglotant, je peux bien publier mes spéculations pour occuper les savans et les métaphysiciens ; mais ne croyez pas que je sois si loin que vous le supposez de penser comme le reste des hommes. »

On se fera quelque idée des sentimens de Hume sur ce sujet par un passage d’une de ses lettres à son ami Mure, juge-baron de l’échiquier d’Ecosse, dans laquelle il expose ses objections contre le culte et contre la prière :


« On doit reconnaître que la nature nous a donné une forte inclination à l’admiration pour tout ce qui est excellent, et à l’amour et à la reconnaissance pour tout ce qui est bienveillant et bienfaisant, et que la Divinité possède ces attributs dans leur plus haute perfection. Cependant je soutiens qu’elle n’est l’objet naturel d’aucune passion, d’aucune affection. Dieu ne tombe ni sous le sens ni sous l’imagination, à peine est-il atteint par l’intelligence : faute de quoi, il est impossible qu’aucune affection s’éveille. Un ancêtre éloigné, qui nous a laissé de grands biens et des titres conquis par son mérite, est un grand bienfaiteur pour nous ; cependant il nous est impossible de lui porter aucune affection, parce qu’il nous est inconnu, et cela, quoique nous sachions qu’il était un homme, une créature humaine, ce qui le rapproche beaucoup plus de la portée de notre intelligence qu’un esprit invisible et infini. Un homme peut donc avoir le cœur parfaitement disposé pour tout ce qui est l’objet propre, naturel, de l’affection, amis, bienfaiteurs, patrie, enfans, etc., et cependant il peut, par suite de l’invisibilité et de l’incompréhensibilité de Dieu, ne ressentir pour lui aucune affection. À vrai dire, j’ai bien peur que tous les enthousiastes ne se trompent grossièrement eux-mêmes. L’espérance ou la crainte agite peut-être leur cœur quand ils pensent à Dieu : ou ils le ravalent jusqu’à le faire semblable à eux, et se le rendent ainsi plus facilement compréhensible, ou bien encore ils se gonflent de vanité en s’imaginant être les favoris particuliers de la Divinité, ou au mieux ils sont animés d’une affection artificielle et forcée qui agit par bonds et par sauts, et suit une marche irrégulière et désordonnée. On ne peut demander à personne comme un devoir une semblable affection. Remarquez bien que je n’exclus pas seulement les passions turbulentes, mais aussi les sentimens calmes. Ni les uns ni les autres ne peuvent agir sans l’assistance des sens et de l’imagination, ou au moins sans une connaissance de leur