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système de Hume. Par une contradiction singulière, le sceptique qui nie l’identité individuelle veut que la collection des individus, l’humanité, soit à toute époque non-seulement semblable à elle-même, mais identique. Il la suppose au moins stationnaire, puisqu’il ne tient pas compte des différences que le degré de civilisation met entre deux peuples ou entre le même peuple à deux époques de son histoire, puisqu’il refuse d’admettre que ce qui en un temps a été impossible puisse devenir possible, et relativement aisé, par le changement des idées et le progrès des lumières.

Cette théorie, qui accuse avant tout chez le philosophe une certaine paresse de l’imagination et l’absence de toute disposition à l’enthousiasme, est curieuse parce qu’elle fait connaître la tournure d’esprit de Hume, et parce qu’elle a été la règle de tous ses travaux en critique, en politique et en histoire : elle n’est pas cependant le côté le plus nouveau et le plus important de sa doctrine. Un tout autre intérêt s’attache aux conséquences que Hume, dans le Traité de la Nature humaine, a tirées de la philosophie de Locke. Hume adopte complètement le point de départ du philosophe anglais, à savoir que la sensation est la source de toutes nos connaissances, et même il développe la pensée de Locke avec cette rigueur et cette précision qui font de lui le premier des dialecticiens. « Pour ma part, dit-il, quand j’entre intimement et jusqu’au fond dans ce que j’appelle moi, je me heurte toujours à une perception quelconque de froid ou de chaud, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de peine ou de plaisir. Je ne puis jamais à aucun moment saisir mon moi sans une perception, et je ne puis jamais rien observer que cette perception. » Partant de ce principe, dont l’apparente évidence et la simplicité devaient naturellement séduire un esprit positif et pratique comme le sien. Hume tourne contre la substance spirituelle, contre l’âme humaine, tous les argumens dont Berkeley s’était déjà servi contre la nature extérieure. De même que Berkeley avait établi que l’existence de la matière est indémontrable, Hume établit à son tour que rien ne peut nous prouver notre propre existence. En effet, si nous ne pouvons rien connaître que par la conscience, et si celle-ci ne nous transmet jamais que des impressions, sur quoi nous fondons-nous pour étendre notre croyance au-delà de ce qui nous est attesté par la conscience, à savoir l’impression pure? Comment de ces phénomènes si fugitifs et si variés pouvons-nous conclure à l’existence d’un esprit qui dure et qui, dans toute sa durée, est identique à lui-même? « Si la substance spirituelle existe, quelle est l’impression qui nous la découvre, et comment cette impression opère-t-elle? Est-ce une impression de sensation ou de réflexion? Est-elle agréable, ou pénible, ou indifférente? Agit-elle continûment ou périodiquement, ou à divers intervalles? Si elle agit