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Recherches sur l’entendement humain, qui sont le même ouvrage sous une autre forme.


« On s’accorde universellement à reconnaître qu’il existe une grande uniformité dans les actions des hommes chez tous les peuples et à tous les âges, et que la nature humaine demeure toujours la même dans ses principes et ses opérations. Les mêmes motifs produisent toujours les mêmes actions, les mêmes événemens découlent des mêmes causes. L’ambition, l’avarice, l’amour de soi, la vanité, l’amitié, la générosité, le patriotisme, toutes ces passions, entremêlées à des degrés divers et répandues dans la société, ont été depuis le commencement du monde et sont encore la source de toutes les actions et de toutes les entreprises qu’on a pu observer au sein dg genre humain. Voulez-vous connaître les sentimens, les inclinations, la conduite des Grecs et des Romains ? Étudiez bien le caractère et les actions des Français et des Anglais; vous ne sauriez vous tromper beaucoup en appliquant aux premiers la plupart des observations que vous aurez faites sur les seconds. Le genre humain est si fort le même en tout temps et en tous lieux, que l’histoire ne nous apprend rien de nouveau ni d’étrange sous ce rapport. La principale utilité de l’histoire consiste seulement à mettre au jour les principes constans et universels de la nature humaine, en nous montrant les hommes dans toutes sortes de situations et de circonstances, et en nous fournissant les matériaux qui nous servent à faire nos observations et à connaître les sources régulières des actions et de la conduite de chacun. Ces annales des guerres, des intrigues, des factions, des révolutions, sont autant de collections d’expériences d’après lesquelles le politique ou le philosophe moraliste fixe les principes de la science, de la même façon que le médecin ou le philosophe naturel arrive à connaître la nature des plantes, des minéraux, ou des autres objets extérieurs par les expériences qu’il institue à leur sujet. La terre, l’eau et les autres élémens, étudiés par Aristote et par Hippocrate, ne sont pas plus semblables à ceux qui sont en ce moment soumis à notre observation que les hommes peints par Polybe ou Tacite ne le sont à ceux qui gouvernent aujourd’hui le monde. »


Poursuivant sa pensée, Hume arrive à soutenir qu’un historien est convaincu de fausseté par cela seul qu’il rapporte d’un homme des actions qu’aucun motif humain ne peut expliquer, et il fait le procès à Quinte-Curce pour avoir prêté à Alexandre un courage surnaturel aussi bien que pour lui avoir attribué une force surhumaine. Ainsi pour Hume la vraisemblance devient le criterium et la mesure de la vérité. Il y a là un paralogisme évident; Hume ne s’aperçoit pas qu’il renverse lui-même son système par l’application trop rigoureuse qu’il en fait. S’il est incontestable que la nature produit des monstres, pourquoi n’y aurait-il pas aussi des anomalies morales, des exemples de perversité précoce et inexplicable, et par compensation des modèles de dévouement sublime, de désintéressement et de vertu? Tous les martyrs, tous les héros, tous les hommes de génie sont donc, dans des ordres d’idées différens, autant de démentis au