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pendant sa première jeunesse; il se trouve enfin que ce mariage est tout un bizarre épisode, et jusqu’à présent, si nous ne nous trompons, entièrement inconnu. D’ailleurs entre Mme de Staël devenue ambassadrice de Suède et Gustave III épris de la France, de fréquens rapports ne tardèrent pas à s’établir. Laissant à son mari la correspondance officielle, Mme de Staël se chargea d’une correspondance particulière, où Gustave devait trouver le tableau de cette cour et de ces salons qu’il aimait. Pendant les deux années qui suivent son mariage, 1786 et 1787, les lettres de Mme de Staël ne sont que la peinture de cette joyeuse et brillante société qui jouissait bien étourdiment du calme profond, précurseur de l’orage : ce ne sont (elle les nomme ainsi) que des bulletins de nouvelles; mais dès les premiers troubles dont les assemblées de notables ont donné le signal, on la voit inquiète pour son père, qu’elle aimait, comme on sait, jusqu’à l’adoration, et qui, suivant son expression toujours animée, prenait le gouvernail quand déjà soufflait la tempête. Ses dernières lettres enfin, toutes différentes des premières, n’aspirent qu’à défendre aux yeux de Gustave III, ennemi de la révolution, les maximes libérales; elles sont une apologie de la conduite de M. Necker, de celle de M. de Staël et de la sienne propre.

Voilà donc ce que nous révèle la collection des papiers de Gustave III : en premier lieu, l’histoire du mariage de Mme de Staël, que des renseignemens épars, tous inédits, nous aideront à reconstruire; en second lieu, toute une correspondance, absolument inédite, que Mme de Staël, devenue ambassadrice, adressait au roi Gustave III.

Refaire avec cette correspondance ou bien à ce propos un tableau des dernières années de l’ancien régime ou une appréciation nouvelle du talent de Mme de Staël dépasserait nos prétentions. Ces bulletins ne sont ni une peinture complète d’une époque fort mêlée ni une œuvre littéraire que l’auteur ait destinée à l’impression. Ce ne sont pas même, on peut le dire au moins des deux tiers, ce ne sont pas des lettres où l’on mettrait à la fois son esprit et son cœur. Ce sont des récits, négligemment, mais vivement écrits, qui nous permettront d’observer l’auteur de Corinne à une époque bien peu connue, quoique importante, de sa vie, dans lesquels on aimera sans doute à voir courir sans gêne ni apprêt, spirituelle, gracieuse, enjouée, la plume devenue ensuite si éloquente et si passionnée, et qui nous offriront enfin l’occasion de faire connaître M. de Staël en même temps que son illustre femme.