Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce ne fut point à Caprée, mais à Misène, près du cap connu de tous les voyageurs en Italie par l’improvisation de Corinne, que se passèrent les derniers momens de la vie de Tibère. Ceci n’est plus de la haute comédie comme la mort d’Auguste, c’est de la tragédie, de la tragédie à la Shakspeare; disons mieux, à la Tacite. Tacite nous fait assister à cette scène terrible, la dernière du sanglant et sombre drame de la vie de Tibère. « La force, le corps défaillaient chez Tibère, pas encore la dissimulation, » dit le grand historien; puis il montre le médecin de l’empereur qui, en le quittant, feint de lui serrer la main avec respect pour oser clandestinement lui tâter le pouls. Tibère s’en aperçoit : offensé qu’on devine les approches de la mort, qu’il veut cacher, il se met à table et y reste plus longtemps que de coutume; mais le médecin a déclaré qu’il ne durerait pas deux jours. Tout se prépare autour de lui pour le moment qui va venir. Bientôt il perd connaissance ; on le croit mort. Caligula, entouré d’un cortège qui le félicite, sort pour aller saisir les prémices de l’empire. Tout à coup on vient annoncer que Tibère est revenu à lui. Aussitôt tous tremblent, et chacun de feindre l’ignorance ou la tristesse. Caligula est silencieux, il se croit perdu. Alors Macron (celui qui avait fait tuer Séjan) ordonne d’étouffer le vieillard sous des vêtemens entassés. Ainsi finit Tibère; la fin des tyrans est triste. Revenons à Rome avec le convoi qui y rapporte la cendre impériale dans le mausolée d’Auguste. Ici la comédie reparaît. Le peuple demande à grands cris que le cadavre du vieux tyran soit jeté aux gémonies, précipité dans le Tibre; mais bientôt ce peuple se calme, accepte pour empereur Caligula, qui surpassera Tibère en cruauté, et Caligula prononce l’éloge de Tibère, qu’il avait fait dépêcher parce qu’il ne mourait pas assez vite.

Si les monumens élevés par Tibère sont rares à Rome, ses portraits y sont très nombreux. Tibère, comme Auguste, est beau; ses traits sont fins et nobles; il ressemble singulièrement à Livie. Ses lèvres minces et sèches révèlent seules ce qu’il y avait dans son âme d’astucieux et d’impitoyable; mais, pour avoir une idée vraie de la figure du monstre, il faut couvrir ce beau visage de tumeurs et d’emplâtres. Le portrait de Tibère, tel que nous le donne la sculpture, est achevé par les historiens, qui ont dit ce que l’horreur de l’art antique pour la laideur ne lui aurait point, quand il l’eût osé, permis d’exprimer. Tibère n’a pas l’air plus méchant qu’Auguste, et, à tout prendre, je ne crois pas qu’il l’ait été beaucoup plus. Ces deux hommes étaient moins dissemblables qu’on ne croit. Il y a bien entre eux quelques différences, et celle qui se présente d’abord est tout à l’avantage de Tibère : il fut plus guerrier qu’Auguste.

Deux arcs de triomphe furent érigés à Tibère : l’un, il est vrai, pour