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temple à Auguste; mais il n’acheva pas : que faisaient à Tibère les souvenirs de la république et même la mémoire d’Auguste? Auguste n’était plus là, et la reconnaissance n’était un mobile bien puissant ni pour Livie ni pour son fils. Tibère, adopté par Auguste comme Auguste l’avait été par César, voulut terminer aussi les monumens que son père adoptif avait commencés; ainsi il acheva le temple de Liber, de Libéra et de Cérès, qui était près du grand cirque[1].

Le second empereur ne se contentait plus de la maison modeste du fondateur de l’empire; la sienne était plus considérable. Tibère, qui affectait comme Auguste la modération et la simplicité, se permettait cependant déjà plus de magnificence. Il paraît que les ruines de la villa de Tusculum, qu’on dit avoir appartenu à Cicéron, tandis que celle-ci était vraisemblablement plus bas, sont un reste d’une villa de Tibère. Elles rappellent donc de tout autres souvenirs, et les touristes qui pourraient y penser à Cicéron et aux Tusculanes doivent se défier de leurs émotions.

Le vrai monument du règne de Tibère, c’est le Camp des Prétoriens, construit sous le tout-puissant ministère de Séjan, chef de cette milice dangereuse. La construction du Camp des Prétoriens est un grand événement dans l’histoire romaine. Le prudent Auguste avait toujours eu soin de ne laisser à Rome que quelques cohortes, qui n’étaient point logées dans un camp; Auguste comprenait le danger d’y établir si près de lui une force armée permanente. Il semble que Tibère était capable de la même prudence; cette fois encore pourtant il laissa faire Séjan, à qui il permettait tout, sauf à le punir de tout en un jour. Or rassembler dans le centre de l’empire les gardes prétoriennes, jusque-là dispersées dans les provinces, c’était une mesure périlleuse pour l’avenir, mais cette mesure convenait à un favori ambitieux que l’avenir ne préoccupait point, et qui peut-être espérait emporter l’empire par un coup de main militaire. Tibère, délivré de Séjan, ne se sentit pas la force de détruire son ouvrage, et il laissa là, à la porte de Rome, une forteresse qui pouvait devenir celle de la sédition. Juste et inévitable punition du despotisme, ceux qui devaient l’appuyer le dominèrent.

Trois des côtés de l’enceinte du Camp des Prétoriens subsistent; cette enceinte doit sa conservation à Aurélien et à Honorius, qui en profitèrent lorsqu’ils élevèrent une muraille autour de la ville. Le mur du Camp des Prétoriens fit partie de cette muraille, qui là forme un carré en saillie en dehors de la ligne des remparts, et dessine

  1. On attribue à ce temple les colonnes antiques encastrées dans les murs de l’église de Santa Maria in Cosmedin; mais ces colonnes, à en juger par le style, appartiennent certainement à une époque postérieure. Une partie de la cella, que l’on voit derrière l’église et dont l’appareil est très beau, peut être un reste du temple élevé par Tibère.