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haleine vos joues, qui sous son baiser s’animent de couleurs purpurines, dont elles étaient privées depuis longtemps. Le poumon boit avec délices et à longs traits un oxygène exhilarant ; un sang limpide parcourt en frissonnant vos veines, et des cavités du cerveau aux extrémités des petits doigts vous sentez la vie circuler dans vos artères. La machine est remise à neuf ; une huile plus pure brûle dans la lampe, qui, en manière de flamme brillante, jette aux échos de la montagne un coup de gosier tyrolien et inattendu, ou le refrain machinal de quelque chansonnette. Plus joyeux qu’un écolier qui vient de franchir les grilles du collège, qu’un soldat transporté à la vue des clochers du village natal, j’arrivai au perron de l’Hymalayah’s-Club, où la prévoyance d’un ami m’avait assuré un asile. La réception amicale qui me fut faite partout et par tous devait entretenir cette heureuse disposition de mes esprits.

L’Hymalayah’s-Club, véritable ordre hospitalier du siècle des chemins de fer et des télégraphes électriques, et auquel appartiennent la grande majorité des agens civils et militaires des provinces nord-ouest et du Punjab, s’élève au milieu du village de Missourie, à une portée de fusil du grand bazar. L’établissement du club se compose de trois grands bâtimens distincts : le premier renferme la salle à manger, les salles de lecture et de bal, le second les chambres à coucher, et le troisième, à un plan inférieur de la montagne, deux très beaux billards. D’un aspect monacal, les petites chambres à coucher du dortoir, meublées avec une rigoureuse propreté, ouvrent sur une verandah, d’où se déploie le plus magnifique panorama qu’il soit possible d’imaginer. À votre droite, sur les cimes de la montagne voisine, le sanitarium de Landor, où les soldats convalescens de l’armée royale viennent chercher une santé qu’ils ne retrouveraient pas dans les plaines. Partout, autour de vous, où le caprice de la nature a laissé quelques pieds de surface plane, s’élèvent en manière de nids d’aigle de délicieux petits cottages entourés de verdure. Sous vos pieds, des précipices vertigineux, des terrains convulsionnés, semés de rhododendrons chargés d’une riche moisson de fleurs pourpres, — et dans le lointain, par un beau jour, l’éblouissant tableau des glaciers de l’Hymalayah, auprès desquels les glaciers de l’Oberland ne sont décidément que de la petite nature. Vous êtes au bout du monde, de votre chambre à coucher vous découvrez à l’œil nu les frontières du Thibet ; l’hirondelle qui vient frapper à vos carreaux atteint en quelques coups d’aile la terre inconnue du grand-lama et des bonzes, et tout autour de vous rappelle la vieille Europe. Singulière et puissante ténacité avec laquelle la race anglo-saxonne reste fidèle à ses mœurs, à ses habitudes, et transporte avec elle sous tous les cieux ses besoins de comfort et ses plaisirs