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avec le sentiment des hautes traditions littéraires. Qu’on prenne les plus mémorables époques de l’art en France : qui ne connaît ces époques ? Elles ont été éclairées de toutes les lumières de l’érudition ; tout le monde en parle. Combien est-il d’écrivains cependant qui les comprennent, qui les aiment d’un amour vrai et intelligent, et puisent une originalité nouvelle dans ce commerce avec les grandes choses d’un grand siècle ? Dans la diffusion de notre temps, M. Cousin, passant de la philosophie à l’histoire littéraire, a voué un vrai culte au XVIIe siècle, et ce culte, il fait mieux que le professer d’une façon stérile, il le propage avec le feu d’un esprit éminent. Pour parler de cette grande époque, il lui emprunte sa belle langue en la marquant d’un cachet nouveau. M. Cousin fut l’un des premiers, il y a bien des années, à remettre dans tout son jour cette figure pensive et noblement émue de Pascal. Depuis, il s’est enfermé dans le XVIIe siècle, il y a vécu. Une fois dans cette compagnie, où il trouvait la vérité s’alliant à l’élégance, il a été séduit surtout par ces femmes illustres qui représentent le siècle dans ce qu’il a de plus animé et de plus brillant, par ces personnes d’élite qui sont des âmes fières et passionnées, des héroïnes, des politiques, et souvent de grands écrivains, sans en avoir la prétention. De là ces études qui se sont succédé, et auxquelles l’auteur a récemment ajouté deux études, que connais sent déjà nos lecteurs, sur Madame de Chevreuse et Madame de Hautefort. M. Cousin d’ailleurs, on n’en peut douter, a vécu avec ces aimables et superbes héroïnes dont il raconte les aventures. Il a été le confesseur de leurs secrets, et il connaît jusque dans le dernier détail leurs faibles, leurs passions, leurs galanteries ou leurs vertus. Il prend couleur dans les luttes où les jette leur fortune, et il chercherait volontiers querelle au coadjuteur de Retz ou à La Rochefoucauld pour avoir jeté quelque ombre sur la figure de ses célèbres amies. Les brillans récits de M. Cousin, les biographies de Mme de Longueville et de Mme de Sablé comme les études nouvelles sur Madame de Chevreuse et Madame de Hautefort, sont une histoire épisodique, familière et intime, quoique très élevée, qui, à travers le mouvement en apparence frivole, laisse apercevoir Condé et ses campagnes, Richelieu et sa politique impérieuse, Mazarin avec sa souple et insinuante supériorité, en un mot tout le XVIIe siècle. Ce monde illustre est à jamais évanoui. M. Cousin le dit avec raison, il n’y aura plus de Mme  de Chevreuse, ou s’il en était quelqu’une par hasard, ce serait une Mme  de Chevreuse vulgaire, qui plierait la politique à de petits calculs au lieu de mener hardiment de front les affaires de cœur et les affaires d’état, et de subir trois fois l’exil pour tenir tête à Richelieu et à Mazarin. Tout est changé, la politique, les mœurs, la société et même la manière d’entendre l’amour. Il ne serait pas bon sans doute d’aller s’enfermer trop exclusivement dans une époque du passé au point de ne rien voir au-delà ; mais, par, son amour du XVIIe siècle, M. Cousin nous ramène au culte des traditions et de la sévérité littéraire : il montre les sources d’où l’art français a jailli dans sa splendeur, et il est lui-même fidèle à cet art en retraçant dans un grand style ces peintures qui ont tout à la fois le vif attrait du roman et la scrupuleuse exactitude de l’histoire. eugène forcade.


V. de Mars.