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dignité pour personne dans la prolongation d’un tel état de choses. Il faut que la paix soit vraiment la paix, et qu’elle cesse de couvrir un fourmillement de mesquines et sournoises chicanes. L’Autriche évacuera les principautés, si on le lui demande avec fermeté, et, nous l’espérons, n’attendra point une sommation. Quant aux puissances que séduit une stérile agitation, pourquoi ne pas les mettre en demeure d’ouvrir la conférence de Paris ? Cette conférence est le seul tribunal qui ait qualité pour résoudre les difficultés inhérentes à l’exécution du traité du 30 mars. Aucune des puissances qui en font partie n’y désertera volontairement sa place, et n’aura même de raisons à donner pour en ajourner la convocation.

Les reviremens politiques de l’Espagne surprennent quelquefois, mais n’étonnent plus depuis longtemps. Celui que le télégraphe vient de nous apprendre était prévu ; seulement on ne l’attendait pas si tôt. La base politique du maréchal O’Donnell n’était ni assez large ni assez franche pour qu’il lui fût possible d’y établir solidement son ministère. O’Donnell, placé sur l’étroite frontière des deux grands partis qui divisent la Péninsule, ne pouvait la franchir ni d’un côté ni de l’autre. Il était arrivé au pouvoir par une sédition militaire bientôt transformée en révolution ; les partis conservateurs n’oublient et ne pardonnent jamais une telle faute, n’avait conquis la première place en réprimant vigoureusement une émeute progressiste ; où pouvait être son appui ? Il avait essayé de former un gouvernement composé d’élémens modérés et d’élémens progressistes. Effacé lui-même dans le cabinet qu’il présidait par un conservateur énergique et actif, M. Rios-Rosas, il s’était vu forcé de sacrifier l’un après l’autre à l’ascendant de cet homme d’état ses collègues de couleur progressiste. Pour donner à son gouvernement une base constitutionnelle, il avait dû, en répudiant la dernière constitution votée par les cor tes, ressusciter celle de 1845, ouvrage du premier ministère du maréchal Narvaez. La mise en vigueur de cette constitution était un infaillible symptôme ; l’œuvre appelait l’ouvrier. Nous ignorons encore les incidens qui ont si brusquement porté le maréchal Narvaez à la place d’O’Donnell ; il faut convenir que le duc de Valence a du moins mené les choses avec son impétuosité ordinaire : exilé il y a huit jours, aujourd’hui premier ministre ! Toute conjecture sur l’avenir du nouveau cabinet espagnol serait en ce moment déplacée. Nous y voyons avec confiance figurer l’un des chefs les plus expérimentés du parti modéré, M. Pidal. Quoi que le nom du maréchal Narvaez soit une ferme garantie pour la cause de l’ordre, nous sommes convaincus que ce nom dans les circonstances actuelles n’est point une menace pour les institutions libérales. Le parti modéré ne peut pas oublier qu’il n’a perdu le pouvoir, après dix ans de possession, que par ses divisions et par ses fautes, et que ses fautes les plus funestes ont été les tendances ultra-réactionnaires des derniers cabinets qui l’ont représenté, celui de M. Bravo Murillo et celui de M. Sartorius et des polacos. C’est l’honneur du maréchal Narvaez d’avoir été hors du pouvoir et d’avoir même mérité d’éclatantes disgrâces pendant cette triste décadence du parti modéré, qui aboutit, il y a deux ans, à une si honteuse catastrophe. Sous la conduite de ses chefs naturels les plus éminens, éclairé et fortifié par ses récentes épreuves, le parti modéré espagnol n’oubliera pas, nous l’espérons, que son ascendant ne sera légitime et durable que s’il place au premier