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rendre à son ancien propriétaire, et il s’est trompé en nommant la Moldavie. Aucune de ces deux questions, on en peut juger, n’est de nature à soulever de graves débats. Quant à Bolgrad, la commission de délimitation a pu vérifier sur les lieux que cette ville est située à plusieurs kilomètres de la rive du lac ; entre le lac et le chef-lieu des colonies bulgares, il y a donc amplement place pour une chaussée qui marquerait la frontière, et ne permettrait point à la Russie d’entreprendre un établissement naval dans les eaux du Bas-Danube. Quant à la Sulina, il n’y a qu’une rédaction à rectifier. Sur les deux points, la conférence de Paris, à laquelle le congrès a légué le soin de veiller au règlement des questions d’application que soulèverait l’exécution du traité, peut seule trancher la difficulté à la majorité des voix. Pour en finir avec ces chicanes de détail, qu’il est dangereux de prolonger partout, surtout en Orient, où des vétilles deviennent si facilement de grosses affaires, il semble donc qu’il faudrait se hâter de convoquer, à Paris la conférence. La puissance qui semblerait la plus intéressée aux temporisations, puisque c’est elle qui fait les frais de l’exécution du traité, n’oppose, à ce qu’on assure, aucune objection à une réunion immédiate. Par une inconséquence peu facile à comprendre et encore moins facile à justifier, les cabinets les moins pressés d’achever la réalisation du traité paraissent être ceux de Saint-James et de Vienne.

Que la Russie, dit-on à Londres, commence par remplir les conditions du traité de Paris telles que nous les interprétons ! On tient à Vienne le même langage, mais on fait plus, on le commente par des actes plus contraires à l’accomplissement du traité que les insignifiantes résistances reprochées à la Russie. Les Autrichiens saisissent les prétextes de Bolgrad et de la Sulina pour laisser indéfiniment leurs troupes dans les principautés, en dépit des obligations du traité et des engagemens que M. de Buol avait pris avec ostentation devant le congrès. La conduite si étrange des Autrichiens rencontre-t-elle dans le cabinet anglais l’opposition décidée qu’elle y devrait exciter ? Nous avons le regret d’en douter ; de plus hardis auraient le droit de soupçonner que l’indifférence de lord Palmerston à l’égard de cette incartade autrichienne couvre peut-être une secrète connivence. Quoi qu’il en soit, une situation si fausse ne saurait durer. Que voudraient, qu’espéreraient les cabinets de Vienne et de Londres en la prolongeant ? Intimider la Russie par une démonstration autrichienne ? Ce ne serait pas sérieux. Lui faire la guerre si elle ne cède pas ? C’est moins sérieux encore. Se figure-t-on l’Autriche, qui est restée l’arme au bras tandis que les Russes traversaient le Danube, croisant la baïonnette pour aller à la conquête de Bolgrad ! La fatiguer enfin ? Mais quand il s’agit de rendre l’Ile des Serpens et la Sulina et de se fermer les communications avec le Bas-Danube, on ne doit guère s’attendre à trouver la Russie bien impatiente. Puis ce ne serait pas la Russie seule qu’on lasserait par une telle conduite ; on fatiguerait plus douloureusement et ces malheureuses principautés aux dépens desquelles l’Autriche fait si volontiers des économies sur son budget de la guerre, ces principautés dont on retarde la réorganisation, et l’empire ottoman, livré à toutes sortes de difficultés et d’incertitudes, tant que sa situation n’est point fixée par la prompte et fidèle exécution du traité. Nous le répétons, de telles anomalies ne peuvent être tolérées. Il n’y aurait de sécurité ni de