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plus, à des Autrichiens d’invoquer même théoriquement, et pour l’amour de l’art, comme c’est ici le cas, le principe de non-intervention à propos des affaires d’Italie, lorsque le système italien actuel ne repose que sur l’intervention, et quelle intervention ! celle de l’Autriche. Il n’y a pas davantage à s’occuper des déclarations que le prétexte de Naples a suggérées au prince Gortchakof. Les faits vont donner à l’intempestive circulaire russe la réponse la plus pertinente, si tant est cependant que cette pièce conserve la portée qu’elle paraissait avoir, et mérite encore une réponse. Nous avons entendu raconter en effet que, des plaintes ayant été adressées à l’empereur Alexandre sur la circulaire de son ministre, l’empereur aurait répondu qu’il n’avait pas eu connaissance de ce document avant qu’il fût expédié. Une pareille affirmation, pour ne pas dire un tel désaveu, retire du débat le maiden speech du prince Gortchakof.

Nous espérons que les gouvernemens de France et d’Angleterre sauront toujours maîtriser dans leur conduite envers le roi de Naples les conséquences de leurs actes ; mais nous étendons ce vœu au-delà des affaires d’Italie. Si la question napolitaine est devenue l’affaire pressante du jour, elle n’est point la seule difficulté d’un intérêt européen. Nous voudrions qu’on ne l’oubliât ni en France, ni en Angleterre.

Qu’on réfléchisse par exemple au grand fait qui domine la situation présente, nous voulons dire la paix de Paris. N’est-il pas étrange que toutes les conséquences de la paix ne soient point encore réalisées ? N’est-il pas plus étrange encore que quelques-unes des puissances qui ont signé cette paix, au lieu de s’appliquer à en faire sortir le plus tôt possible tous les effets pratiques qu’elle doit avoir, s’étudient au contraire à opposer des obstacles, ou, si l’on veut, à mettre des retardemens aux conditions positives qu’elle a stipulées ?

Trois difficultés, on le sait, se sont élevées sur la délimitation des frontières de la Russie et sur la nouvelle répartition de territoire qui en est la conséquence. Ce sont les affaires de l’Ile des Serpens, de Bolgrad et de la bouche de Sulina. Nous ne pensons point que la possession de l’île des Serpens soit sérieusement disputée par la Russie ; les deux autres questions, sans avoir au fond plus de gravité, peuvent donner lieu à de plus vives contestations. Des erreurs ou des ambiguïtés de rédaction sont la cause même du litige. Au sujet de Bolgrad, l’Angleterre et l’Autriche peuvent alléguer l’esprit du traité, qui a voulu affranchir du contact des Russes les bouches du Danube, et soutenir que l’intention des plénipotentiaires n’a pas été d’abandonner à la Russie une position sur le lac Yalpuck ; le cabinet de Pétersbourg peut de son côté invoquer la lettre du traité, qui lui assure la conservation de Bolgrad, chef-lieu des colonies bulgares, et prétendre avec une grande apparence de raison que ce n’est point la concession du village insignifiant de l’ancien Bolgrad que le congrès s’est laissé arracher avec tant de peine. De même pour la bouche de Sulina il y a eu contradiction entre l’intention du congrès et le langage dont il s’est servi. Sulina doit, d’après le traité, être rendu à la Moldavie ; or ce bras du Danube n’avait jamais été compris dans le territoire moldave, il appartenait autrefois à la Porte. De deux choses l’une, ou le congrès a voulu donner la Sulina aux principautés, et il s’est trompé en parlant de restitution, ou il a voulu la