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en entrant en scène Rose Friquet, et qui ne manque pas d’une certaine allure piquante. Le duo entre Sylvain et Rose Friquet est agréablement conçu et traité avec habileté, un peu à la manière de Donizetti. Le finale est encore rempli de ces effets d’imitation dont nous parlions tout à l’heure, et qui abondent un peu trop dans cette partition ; mais le rhythme qui domine, vivement accusé, produit l’effet désiré. Le meilleur morceau de tout l’ouvrage est certainement le beau duo du second acte, entre Rose et Sylvain. On ne m’avait jamais dit cela est une phrase délicieuse accompagnée avec distinction, et que Mlle Borghèse chante à ravir. Le trio de la cloche est aussi fort bien dialogué pour la scène et c’est là son principal mérite. Quant au finale, nous le trouvons trop chargé de couleurs sombres, et le musicien n’a pas su échapper ici, par l’élévation du style, au piège que lui tendaient ses collaborateurs. Hérold, dans le premier finale de Zampa, a fait un chef-d’œuvre du caractère le plus noble avec une scène des boulevards. La Gazza ladra de Rossini n’est aussi qu’un mauvais mélodrame élevé par le compositeur au rang des œuvres exquises ! Au troisième acte des Dragons de Villars, on trouve un chœur très habilement disposé, les jolis couplets que chante Sylvain, dont l’accompagnement est fort original, quelques passages du grand air de Rose, que la cantatrice dit avec beaucoup de sentiment, et la scène de l’accusation, où il y a de la vigueur mêlée d’un peu d’exagération, dont M. Maillart devra toujours se défendre. À tout prendre, l’opéra des Dragons de Villars constate un véritable progrès dans le talent de M. Maillart, dont les idées let le style se sont beaucoup épurés d’un faux alliage de grosse sonorité qui remplissait ses premières compositions. Encore un effort, et M. Maillart arrivera certainement à prendre un rang distingué parmi les musiciens dramatiques de notre pays. Mlle Borghèse, qui débutait dans les Dragons de Villars par le rôle de Rose Friquet, qu’elle joue avec intelligence, a beaucoup contribué au succès de l’ouvrage. Élève du Conservatoire de Paris, Mlle Borghèse, qui vient tout récemment d’Amérique, possède une voix de mezzo-soprano très inégale et souvent fruste dans les cordes inférieures, mais vigoureuse, remplie de feu et d’accens qui sortent directement du foyer du cœur. Si Mlle Borghèse travaille et né se laisse pas détourner de sa voie par les succès faciles ; elle peut fournir une belle carrière ; elle a ce qui ne s’acquiert pas : le diable au corps.

N’oublions pas d’apprendre aussi à la postérité que les Bouffes-Parisiens ont transporté le théâtre de leurs ébats au passage Choiseul, où ils attirent les oisifs par toute sorte de grimaces et de sveltes gambades.


P. SCUDO.