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Aussi ne retrouvera-t-elle pas de si tôt le succès du Bijou perdu. Il serait cependant injuste de nier que Mme Cabel ne rencontre d’assez heureux effets dans le troisième acte de l’Étoile du Nord, et M. Faure se fait également applaudir dans le rôle de Pierre le Grand, où il remplace M. Bataille.

Le Théâtre-Italien a fait sa réouverture le 2 octobre par la Cenerentola de Rossini avec Mme Alboni. Les temps sont difficiles pour la musique italienne, qui semble être arrivée à son âge de fer et avoir épuisé toutes les combinaisons qui lui ont valu, pendant cent cinquante ans, l’admiration de l’Europe. M. Verdi est le dernier des Romains, mais c’est un Romain de la décadence, qui parle une langue à demi barbare, où l’on reconnaît le doigt de Dieu et la fin d’une civilisation. J’espère que l’Italie se relèvera comme nation politique, et qu’elle parviendra un jour à briser les liens qui pèsent sur son génie et en arrêtent le développement ; mais quel que soit l’avenir que la destinée réserve à cet admirable pays, il n’est pas moins vrai de dire que la musique dramatique aussi bien que la musique religieuse ont tari la source de J’inspiration native. Depuis saint Grégoire jusqu’à Rossini, en passant par Palestrina et Monteverde, il s’écoule quinze cents ans, pendant lesquels le génie italien a créé à peu près tous les élémens de l’art musical. On ne vit pas si longtemps, on ne donne pas le jour à un si grand nombre de chefs-d’œuvre et de maîtres incomparables sans s’épuiser. Peut-être l’Italie ne succombe-t-elle un instant sous le fardeau de son passé glorieux que pour mieux se préparer à une existence nouvelle. Cela est grandement à souhaiter, car la l’ace italienne a des facultés qu’on ne retrouve chez aucun autre peuple de l’Europe. Quoi qu’il en soit, Mme Alboni est pour l’instant le seul attrait qu’offre le Théâtre-Italien. Sa voix est presque aussi pure, aussi ronde et aussi flexible qu’il y a dix ans. On ne semble pas trop s’apercevoir que ce merveilleux instrument de la nature a été soumis par l’artiste aux plus durs exercices. Comment un oiseau du bon Dieu s’est-il condamné à chanter le grand-opéra français, et qu’allait faire dans cette galère Mlle Alboni ? Elle y a perdu, à notre avis, quelque chose de ce charme, de cette grâce naturelle et de cette sève printanière qui lui valurent un si grand succès lors de ses débuts au Théâtre-Italien en 1846. Il faut ajouter que Mme Alboni n’a fait aucun effort pour enrichir sa vocalisation de quelques combinaisons nouvelles, et quelle chante le rondo final de la Cenerentola exactement comme il y a dix ans, avec les mêmes gorgheggi et les mêmes oppositions entre la sonorité savoureuse de sa voix de contralto et les cordes supérieures. Telle qu’elle est cependant, Mlle Alboni est encore la meilleure cantatrice qui existe de l’ancienne école italienne, et vaut certes la peine qu’on se dérange pour aller l’entendre. Quant au reste de la troupe, nous n’en dirons rien aujourd’hui ; nous attendrons qu’elle se soit produite tout entière dans le répertoire qui nous est promis.

Le Théâtre-Lyrique a fait aussi sa réouverture dans les premiers jours de septembre par l’opéra de Fanchounette, son bon génie. S’il n’avait rencontré cette collection d’agréables chansons, qu’il ne faut pas regarder de trop près lorsqu’on veut conserver un peu d’illusion, et surtout si le Théâtre-Lyrique n’avait eu le bonheur de posséder la meilleure cantatrice française qu’il y ait maintenant à Paris, il est fort probable que son existence eût été