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d’un ordre élevé et toujours soutenue, distinction de la forme, mélodies naïves et charmantes, sensibilité profonde, harmonie claire et soignée, instrumentation neuve, quoique les élémens en soient puisés dans celle de Rossini et de Weber, l’esprit de la scène et du dialogue sans jamais cesser d’être musical, un goût parfait, un orchestre qui chante constamment et qui tour à tour passe du rôle subalterne d’accompagnateur à celui de principal moteur de l’effet général sans interrompre jamais le fil du discours, telles sont les qualités précieuses qui distinguent la partition de Zampa, c’est-à-dire le chef-d’œuvre de l’Opéra-Comique et du meilleur musicien qu’ait eu la France.

L’exécution laisse beaucoup à désirer. Mme Ugalde, dans le rôle de Camille, trahit l’épuisement de ses forces et l’incorrigibilité d’un instinct fougueux, qui n’a jamais été soumis à une bonne discipline. Il y a dix ans que nous avons prédit à cette enfant de la nature parisienne qu’elle ne porterait jamais chapeau au théâtre. M. Barbot ne possède assurément, ni la voix ni le physique et encore moins la distinction qui seraient nécessaires au personnage de Zampa, où Chollet était si remarquable ; cependant M. Barbot parvient à se faire pardonner ce qui lui manque par le soin qu’il met à chanter de son mieux un rôle aussi difficile ; il réussit même à se faire applaudir dans le grand air du second acte. Les rôles secondaires sont très bien remplis, particulièrement celui de Dandolo, où Sainte-Foy est très plaisant, et celui de Daniel, où M. Mocker montre toute la souplesse de son talent de comédien.

S’il nous fallait porter un jugement sur l’œuvre entière d’Hérold, qui est mort au milieu de sa carrière, le 18 janvier 1833, trois semaines après l’immense succès du Pré-aux-Clercs, si nous étions obligé de pressentir quel rang occupera dans l’histoire de l’art l’auteur de Marie, de Zampa, du Pré-aux-Clercs, de dix autres partitions moins connues, mais qui toutes renferment des pages remarquables, nous inclinerions à penser qu’il est le premier parmi les maîtres qui ont illustré le genre de L’opéra-comique. Plus varié et plus coloriste que Méhul, plus inventif et plus original que Cherubini, harmoniste bien autrement fort que Boïeldieu, doué d’un sentiment profond et d’une mélancolie touchante que M. Auber n’a jamais connus, Hérold est, après Grétry, mais à des titres différens, le seul compositeur français à qui on puisse accorder la qualification suprême de musicien de génie. Il réunit dans une combinaison rare, l’esprit et le goût de la France, l’émotion religieuse de Weber et de l’école allemande, la grâce, l’éclat et le brio intarissable de la manière de Rossini, qui lui a délié la langue. La vie et l’œuvre d’Hérold sont la consolation de la critique qui trouve dans un si bel exemple la justification de ses principes et de ses rigueurs.

Après Zampa, dont le succès ne s’épuisera pas de si tôt, le théâtre de l’Opéra-Comique a repris aussi l’Étoile du Nord, de M. Meyerbeer, pour les débuts de Mme Cabel dans le rôle de Catherine. Nous n’avons point à faire notre profession de foi sur le curieux et intéressant ouvrage du grand maître, non plus que sur le talent de l’agréable cantatrice qui a succédé à Mlle Duprez, sans la remplacer. Mme Cabel a été créée et mise au monde pour porter un bouquet et l’offrir aux passans, en roucoulant sa petite chanson.