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Tout le monde l’a dit, le libretto de Zampa semble être, la contre-partie de celui du Don Juan de Mozart ; mais ce qu’on ignore, c’est qu’Hérold cherchait depuis longtemps un poème dont la donnée répondit aux dispositions de son âme, et il indiqua comme point de comparaison le Don Juan de Mozart. Si nous ne tenions ce renseignement de bonne source, nous l’aurions deviné : tous les vrais chefs-d’œuvre naissent ainsi d’une heureuse conjonction du génie avec un sujet qui fait sourdre les forces latentes de la vie intérieure. Ce n’est point en effet par une délibération de la volonté, ni par un effort de la fantaisie et du talent, qu’on donne l’existence à une de ces œuvres capitales qui charment les hommes pendant des siècles. Si Minerve est sortie tout armée du front de Jupiter, il n’en est pas de même des chefs-d’œuvre qui s’adressent au sentiment. Conçus par l’amour, ils résument la substance de l’être qui les a enfantés. Aussi peut-on affirmer, sans tomber dans le paradoxe, que tout artiste de génie, quelle que soit la richesse de sa Mature et la souplesse de son talent, finit par condenser ses qualités les plus exquises dans une œuvre de prédilection. En musique, ce phénomène s’est produit dans toutes les écoles. Le génie de Mozart est tout entier dans Don Juan, celui de Weber dans le Freyschütz ; l’âme de Gluck est dans Iphigénie en Tauride, celle de Grétry dans Richard Cœur-de-Lion ; Spontini vit dans la Vestale, Méhul dans Joseph, Boïeldieu dans la Dame Blanche, M. Auber dans le Domino noir, Meyerbeer dans Robert-le-Diable, M. Halévy dans la Juive ; Cimarosa a laissé son cœur dans Il Matrimonie segreto, Paisiello dans la Nina, Bellini dans la Sonnambula, Donizetti dans la Lucia. La moitié du vaste génie de Rossini est dans le Barbier de Séville, et l’autre dans Guildaume Tell. Zampa résume les meilleures qualités du génie d’Hérold.

Sans vouloir exagérer le mérite du libretto de M. Mélesville, il faut convenir que sa fable ne manque pas d’intérêt, et qu’elle est heureusement disposée pour la musique. Puisque Hérold s’en est bien trouvé, soyons reconnaissant pour l’homme d’esprit qui a aidé à la création d’un chef-d’œuvre. L’ouverture est composée de plusieurs motifs empruntés aux morceaux les plus remarquables de la partition, et soudés ensemble par quelques développemens qui donnent à la symphonie une parfaite unité de couleur avec le drame qu’elle annonce. C’est un tableau vif, chaleureux, où l’imitation de la manière de Rossini se combine avec des teintes d’un sentiment plus profond qui révèlent aussi l’influence de Weber sur le talent d’Hérold. Tel est, par exemple, le solo de clarinette qui sépare le second thème du premier, et qui rappelle évidemment l’ouverture du Freyschütz. Rossini est d’avis qu’il vaut mieux ne point déflorer ainsi les idées saillantes de la partition et composer l’ouverture avec des élémens qui lui appartiennent exclusivement. Les deux manières peuvent être défendues par d’excellentes raisons, puisque Weber a écrit les trois plus belles ouvertures qui existent en procédant autrement que l’auteur de Guillaume Tell. Le chœur des femmes qui ouvre le premier acte :


Dans ses présens que de magnificence !


est charmant, facile, plein de brio et d’élégance, et il encadre fort heureusement le bel air que chante Camille, la fille du riche Lugano :