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fois le 3 mai 1831, au milieu d’une situation politique pleine d’anxiété, alors que la monarchie de juillet s’essayait à fonder un gouvernement qui devait assurer à la France dix-huit années d’une liberté féconde. On ne s’étonnera pas qu’en de pareilles circonstances la partition de Zampa n’ait pas été appréciée à sa juste valeur. N’est-ce pas le sort de presque tous les chefs-d’œuvre de devancer les esprits aptes à les comprendre, et de faire l’éducation du public auquel ils s’adressent ? Telle a été un peu la destinée de Don Juan, de Guillaume Tell, de Fidelio, de Zampa. Toutefois il ne faut rien exagérer ; ce qui prouve que Don Juan et Guillaume Tell, Fidelio et Zampa, n’ont point échappé entièrement à l’admiration des contemporains, c’est qu’on les a redonnés depuis, et qu’il s’en était conservé un souvenir qui a excité la curiosité des générations nouvelles. Non, Dieu soit loué ! le beau ni le juste ne passent point inaperçus sur la terre, et s’ils n’obtiennent pas immédiatement tous les hommages qui leur sont dus, ils laissent après eux un parfum et une clarté célestes qui suffisent pour illuminer et bonifier le genre humain.

Pour revenir à l’opéra de Zampa, il est certain que cette belle partition fut assez goûtée d’un certain nombre d’artistes et d’esprits distingués pour qu’on eût le désir de la reprendre en 1835. Chantée alors par les mêmes artistes pour qui elle avait été composée, par Chollet et Mme Casimir, l’œuvre d’Hérold ne rencontra plus de contradicteurs, et fut placée au rang qui lui appartient par les acclamations de l’Europe. Zampa a été repris encore en 1842, pour les débuts d’un ténor de mérite, M. Masset, et depuis il n’a cessé de faire les délices des connaisseurs et des ignorans, ce qui est le propre des vrais chefs-d’œuvre. Cependant nous ne pouvons cacher qu’au milieu de l’enthousiasme général qu’excitait la partition de Zampa en 1835, il s’est rencontré un juge sévère qui a énergiquement protesté contre l’engouement du public, et qui a traité l’œuvre et le génie d’Hérold avec un goût, une sûreté de jugement et une élégance de paroles qui ont fait sensation. Nous avons été curieux de connaître le nom de ce grand critique, et les argumens dont s’appuyait sa haute intelligence pour résister au fol entraînement du vulgaire. On nous saura gré de faire partager le plaisir que nous avons éprouvé à la lecture d’un si rare morceau.

« Et d’abord, dit le spirituel écrivain, le libretto de Zampa me déplaît, parce qu’il rappelle celui de Don Juan. Autant le poème qui a inspiré Mozart est vrai, d’une allure rapide, élégante et noble, autant celui de M. Mélesville est faux, entaché de lieux-communs et de vulgarisme ; » — « Eh bien ! continue le critique, après avoir cité, quelques mauvais vers du libretto de Zampa, la musique d’Hérold n’a guère plus d’élévation dans la pensée, de vérité dans l’expression, ni de distinction dans la forme. Seulement il est bien sûr que l’auteur des paroles n’attachait aucune importance aux rimes qu’il jetait au musicien, tandis que celui-ci s’est battu les flancs en maint endroit sans pouvoir s’élever au-dessus de son collaborateur. En outre, ajoute l’écrivain, le style du musicien n’a pas de couleurs tranchées, il n’est pas chaste comme celui de Méhul, exubérant et brillant comme celui de Rossini, brusque, emporté et rêveur comme celui de Weber. La musique d’Hérold ressemble fort à ces produits industriels confectionnés à Paris d’après