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les échos de la montagne. Je me suis placé sur le chemin. Quand le roi m’a aperçu, il s’est arrêté une ou deux minutes, pendant que je lui rendais mes devoirs ; puis il est allé à la cabane de Bana-Osman, le magicien en chef. Il portait sur son vêtement un bochoûté, c’est-à-dire un manteau de drap noir destiné à le protéger contre la pluie et le froid. Il était pieds nus, comme la plupart des africains de la côte orientale. Kméri prit place sur une sorte de divan à la mode du pays ; puis, sans prononcer un mot, il se mit à fumer sa pipe avec une gravité toute royale. Les Ouâsambara sont les plus grands fumeurs de l’Afrique orientale ; leur pipe, dont la tête est en terre cuite, est très proprement confectionnée par eux-mêmes ; ils y ajustent un tube de deux pieds de long, et elle ne les quitte jamais. Beaucoup d’habitans de Touga et d’autres gens du pays sont venus saluer le roi. Leur formule de salutation est : « Chïmba-va-Mouéné, le lion du possesseur, c’est-à-dire de Dieu, » ou, comme ces mots peuvent encore se traduire : « Le lion sois-tu ! » A quoi le roi réplique par une sorte de bourdonnement inarticulé, puis les visiteurs s’éloignent pour faire place à d’autres. Quand tout le monde fut parti et que Kméri n’eut plus autour de lui que quelques-uns de ses courtisans, parmi lesquels son magicien en chef Osman tenait le premier rang, je lui expliquai les raisons qui m’avaient empêché de revenir plus tôt en Ousambara, et le roi, satisfait de mes excuses, me permit de me retirer dans ma cabane. »

Les magiciens jouent un grand rôle dans cette cour africaine. Outre le magicien en chef, il en est plusieurs qui possèdent la confiance du roi et qui sont occupés sans cesse à étudier, d’après le cours des astres, les bons et les mauvais présages, et à conjurer ces derniers. Ces magiciens se montrèrent peu favorables aux Européens, et ils engagèrent Kméri à leur refuser un lieu de résidence dans le pays, alléguant que s’ils y mettaient une fois les pieds, ils ne tarderaient pas à s’en rendre maîtres.

L’autorité du roi d’Ousambara est la plus absolue qui se puisse voir. Ce souverain dispose de tous les biens de ses sujets, et il possède sur eux droit de vie et de mort ; il fait percevoir par ses officiers les impôts qu’il juge convenable d’établir, et il rend lui-même la justice. Le roi et son successeur désigné portent tour à tour les noms de Kméri et de Chébouké. Quand le roi est appelé Kméri, le successeur est nommé Chébouké, et réciproquement. L’héritier présomptif demeure dans la province de Doumbourri, qui est une des régions les plus élevées de l’Ousambara. Ce n’est pas nécessairement le fils aîné qui succède au roi, mais le premier enfant né après l’entrée du prince dans sa capitale. M. Krapt trouve de grands rapports entre ce gouvernement et celui du Choa (au sud de l’Abyssinie). « Le pays, dit-il, présente aussi par son aspect montagneux une grande ressemblance avec le Choa. Les Ouâsambara sont de taille médiocre, leur teint est d’un noir jaunâtre. Patiens et sobres, ils ne se refusent pas au travail, et leur nourriture consiste presque uniquement dans les bananes que leur sol produit en abondance. La plupart d’entre eux n’ont qu’une femme, parce qu’ils ne pourraient pas en nourrir plusieurs, car la polygamie ne leur est pas interdite ; le divorce aussi est très fréquent. »

Dans le voisinage des Ouâsambara et des Ouâsegua existe une peuplade appelée