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Ce dernier animal est celui que les naturels redoutent le plus ; ils prennent la fuite à son aspect, et cherchent le plus souvent un refuge dans les branches d’un arbre, hors de la portée de sa vue. Loin d’être inoffensif comme l’éléphant ou l’hippopotame, dont on n’a rien à craindre si on ne les attaque pas, le rhinocéros se jette sur les hommes ou les animaux qu’il rencontre, les déchire, les foule aux pieds, et s’acharne sur sa proie jusqu’à ce qu’il soit certain qu’elle ait cessé de vivre.

Au nord-est de la route que suivait M. Rebmann se destinait le mont Angolia, au pied duquel s’étendent les contrées habitées par les Ouâkamba, à la limite du pays des Gallas et de celui des Taïtas. De ce lieu, le missionnaire aperçut les montagnes du Tagga se dressant en amphithéâtre et s’élevant par degrés à des hauteurs immenses. Le 11 mai 1849, quinze jours après le départ de l’expédition, il distingua au sommet de la plus haute montagne une sorte de nuage blanc : il demanda à son guide, l’explication de ce phénomène, et celui-ci, renouvelant le récit de fables accréditées dans toute cette partie de l’Afrique, lui répondit que c’était un sommet d’argent, mais qu’il était inaccessible à cause des mauvais esprits qui en défendent l’approche. Bien des gens, ajoutait cet homme avaient voulu le gravir pour s’emparer de ses richesses ; mais tous étaient morts ayant d’y parvenir.

Ce dôme d’argent étincelant au soleil, cet inaccessible trésor gardé par des génies, c’est une couche de neige qui, à quelques degrés de l’équateur, couvre éternellement le Kilimandjaro. Tel est le nom que les naturels donnent à la montagne que le missionnaire Rebmann venait de découvrir. Les guides du voyageur anglais lui racontèrent que, quelques années auparavant, un souverain de Madjanie, pays situé dans l’ouest du Tagga, résolut d’envoyer une sorte d’ambassade au Kilimandjaro pour examiner cet objet si étrange pour des Africains, qui couronne le sommet de la montagne ; tous périrent, hors un seul homme qui revint les pieds et les mains gelés. Le Kilimandjaro a la tête ordinairement enveloppée dans les nuages.

M. Rebmann s’avança au-delà de cette montagne, digne rivale des plus hauts sommets du Nouveau-Monde. Les monts du Taïta ont de quatre à six mille pieds d’élévation, leur pic culminant est appelé Verdiga. De ce point, les montagnes s’abaissent par degrés, en allant vers l’ouest, pour se relever ensuite brusquement et former la chaîne glacée du pays de Tagga. Au-delà du Kilimandjaro coulent les rivières Lapmi et Gôna, qui paraissent rejoindre le Loffith, ce grand cours d’eau qui se jette dans l’Océan à la côte de Zanguebar, et dont jusqu’ici on n’a guère connu que l’embouchure. Toutes les eaux qui arrosent les contrées visitées par M. Rebmann sont alimentées par les neiges de la montagne, et par conséquent très froides. La domination portugaise, circonscrite aujourd’hui à quelques peints du rivage, pénétra jadis jusque dans cette partie de l’Afrique, et le voyageur a retrouvé, non loin du Kilimandjaro, plus à l’ouest, les ruines d’un fort, des débris de canons, et une inscription en langue portugaise.

Les habitans du Tagga pourvoient par la chasse aux principaux besoins de leur existence, et laissent leurs femmes cultiver la terrée. Ils récoltent du riz, recueillent la sève du palmier pour en faire du vin, et quelques-uns d’entre eux exploitent les minerais de fer qui sont la grande richesse de