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chez les Behrs ou Bary, et fit à Bélénia, en 1851, un assez long séjour ; il acheta une propriété près de cette ville sauvage, et lia amitié avec Niguello frère du roi de la principale tribu des Bary. Les détails que M. Brun recueillit en 1851 sur les mœurs et le caractère des Bary font bien connaître les peuplades riveraines de cette partie du fleuve Blanc. Leur religion se compose de croyances et de superstitions dont quelques-unes offrent beaucoup de ressemblance avec celles du Sennâr. C’est ainsi qu’on y trouve, sous le nom de kodjours, des jongleurs qui s’attribuent le pouvoir de donner ou d’ôter les maléfices, d’empêcher ou d’amener la pluie. Les chefs de ces peuplades sont forcément kodjours ; ils doivent à cette puissance surnaturelle plus d’autorité, mais aussi leur responsabilité est grande : si la pluie ne vient pas et qu’une sécheresse prolongée mette en danger les récoltes, ils font un sacrifie de deux têtes de gros bétail ; puis, si le ciel ne semble pas accepter cette offrande et n’envoie pas l’orage, il arrive quelquefois qu’eux-mêmes servent de victimes expiatoires ; Ainsi en 1850 le chef d’Hyapour, pays situé entre Bélénia et un lieu appelé Férichat, eut le ventre fendu, parce que les prières et tous les sacrifices avaient paru insuffisans. La mission catholique de Khartoum, qui entretenait Bélénia une succursale dirigée par le religieux don Angelo Vinco, obtint peu de succès, parce que ses prières demeurèrent inefficaces dans un moment où le ciel gardait une inclémente sérénité. Dom Angelo accompagnait le roi Choba pour demander la pluie ; par malheur le temps resta sec. Les habitans recoururent alors à leur kodjour. Celui-ci mit un peu d’eau dans une clochette, et, la répandant devant l’assemblée, il prédit l’orage pour le lendemain. Par un singulier hasard ; la prédiction se louva juste.

Les troupeaux sont la grande richesse des Bary, qui font usage de lait plutôt que de viande. L’homme qui n’a pas assez de vaches pour nourrir une famille ne peut se marier ni prendre la parole dans les assemblées. Les délibérations et les jugemens ont habituellement lieu devant les villages, à l’ombre de quelques arbres. Tout le monde y peut assister et donner sa voix, mais la discussion n’est permise qu’aux chefs et aux gens riches, appelés moniés, gens dont la dignité est reconnaissable au bâton fourchu qu’ils portent. Le vol est puni de la peine capitale, mais les exécutions n’ont lieu que sur la route ou dans les forêts, et jamais dans les villages, car la vue du sang rendrait les femmes stériles. Les assassins sont punis moins sévèrement que les voleurs, ils peuvent se racheter au moyen d’une rançon : on les livre aux parens du mort, qui en exigent autant de vaches qu’ils ont de doigts aux pieds et aux mains. Chaque homme prend autant de femmes qu’il en peut nourrir ; elles coûtent de dix à cinquante vaches, selon leur beauté et leur rang ; elles deviennent une propriété dont les fils héritent et peuvent jouir à la mort de leur père, leur mère exceptée toutefois. Le nombre des femmes, comme celui des têtes de bétail, constitue la richesse ; on n’est pas monié sans en avoir au moins deux ou trois. Il ne parait pas qu’elles soient jalouses, mais elles ne sont pas non plus fidèles. Les accords faits, la cérémonie du mariage consiste tout simplement à tuer et à manger quelques boeufs. Une partie de la dot apportée par le mari est distribuée aux parens de la femme. Jusqu’à ses premières couches, celle-ci reste dans la maison paternelle. L’homme qui séduit une fille doit l’épouser ; s’il ne peut