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son voisin, et de fréquentes divisions intestines ensanglantent le pays. Les Arabes y sont mélangés aux nègres, et les uns et les autres habitent dans des toulkouls, cabanes exhaussées pour la plupart au-dessus du sol au moyen de pieux qui les garantissent des inondations causées par les pluies périodiques, et surmontées d’une toiture élevée de forme conique, très propre à braver les déluges de cette région. Les nègres, hommes et femmes, vivent dans un état de nudité complète ; par exception quelques individus portent autour des reins une sorte de ceinture en peau frangée. Malgré cette absence de vêtemens, les femmes n’en recherchent pas moins la parure, qui, pour elles, consiste en une multitude de bracelets et d’anneaux passés dans les oreilles, les lèvres et le nez. Leur coiffure est aussi tellement compliquée, que pour dormir ces femmes ont soin, dit. M. Kovalevski, de passer leur cou dans une planche à échancrure dont l’objet est de maintenir la tête isolée et de ménager le vaste appareil que forme la coiffure. Parmi les Arabes, les plus riches revêtent un morceau de toile blanche qu’ils nomment ferezé, et dans lequel ils se drapent avec une certaine élégance. Un mélange d’islamisme et d’idolâtrie compose la religion de toute cette contrée, qui, malgré son éloignement de l’Égypte, consentit à reconnaître la suzeraineté du vice-roi.

La vallée du Toumat, à mesure qu’on la remonte, est de plus en plus encombrée d’énormes blocs de pierre qui rendent difficile l’accès de la rivière. D’ailleurs elle est couverte d’une luxuriante végétation : les citronniers de Nigritie s’y mêlent aux lauriers ; les fleurs d’une espèce de jasmin emplissent l’air de leurs suaves émanations ; des plantes de toute espèce croissent pêle-mêle sans culture, et les baobabs couvrent le soi de leurs gigantesques ombrages. En cheminant dans le lit même de la rivière, l’expédition de 1848 rencontra un grand nombre d’ouvertures circulaires en partie remplies d’eau. Ces ouvertures sont pratiquées par des nègres qui arrivent de fort loin dans cette contrée pour y exercer l’industrie du lavage des sables aurifères et aussi pour y capturer des crocodiles, ordinairement cachés, pendant cette saison, à une profondeur où le sable continue être humide. Les mouvemens de l’animal sont gênés par le sable où il est blotti, et les nègres s’en emparent sans beaucoup de danger pour en manger la chair.

Les voyageurs remontèrent le Toumat jusqu’à l’endroit où cette rivière se réduit aux proportions d’un simple ruisseau qui se perd dans la direction du sud, vers le 10e parallèle nord, et un peu à l’occident de Fadassy, ville située sur les confins de l’Abyssinie et du pays des Gallas. Fadassy est le principal marché des régions situées entre les deux Nils ; il s’y fait un commerce considérable de chevaux, de bestiaux, de lances, de casse-têtes, de haches, de froment, de café, de miel, de légumes, de toiles de l’inde, d’or en poudre et en grains, de sel, de verroterie de Venise, etc. Quant à la ville, elle est formée d’un ensemble de huttes et de cabanes en terre et en bois dispersées sur les bords de l’Iabouss, affluent du Nil-Bleu, et derrière des hauteurs qui sont elles-mêmes dominées par la masse sévère des grandes montagnes de l’Abyssinie. Le plateau que franchit M. Kovalevski pour pénétrer jusqu’à Fadassy avait été récemment dépeuplé par une incursion des Gallas ; les hommes en avaient disparu, et les éléplans s’étaient emparés de ces lieux devenus déserts. Ces animaux erraient en troupes immenses. On dit