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de juifs et une cinquantaine de chrétiens attachés à la mission catholique que l’Autriche y entretient, et qui se compose de trois prêtres. « Ces missionnaires, dit le voyageur, ont une jolie petite chapelle, une école composée d’une vingtaine d’enfans dont les visages offrent toutes les nuances, du blanc rosé au noir d’ébène, presque tous savent lire et écrire, et parlent le français et l’italien. » Vue de la rivière, Khartoum apparaît comme une longue muraille de terre surmontée de quelques constructions ; la résidence du gouverneur, l’ancien bâtiment de l’état, la chapelle et la mission catholique sont les plus apparentes. Autour des habitations s’étendent de vastes jardins plantés d’orangers, de grenadiers, de figuiers, de bananiers, de cannes à sucre. Le bazar est approvisionné de marchandises de Manchester. Au-dessous de Khartoum, à la distance d’un degré environ, se trouve la ville de Sennâr où fut assassiné en 1705 le Français Du Roule, qui se rendait en Abyssinie comme ambassadeur de Louis XIV. Cette ville, autrefois la plus importante de toute la région, avait encore neuf mille habitans lorsque Cailliaud la visita ; sa population a diminué depuis de plus de moitié par suite des ravages et des massacres de l’expédition égyptienne, ainsi que par la fondation de Khartoum. Beaucoup de maisons détruites il y a une trentaine d’années n’ont été remplacées que par des huttes en terre et des cabanes de paille.

L’un des derniers explorateurs du Nil-Bleu a été Méhémet-Ali. Le vice-roi, séduit par l’espérance de trouver de riches mines d’or au Fazogl et au Bertât (ce pays est situé entre les deux Nils au sud de Sennâr), dirigea en personne une première expédition sur l’Azrak en 1839. Ses recherches demeurèrent sans résultats, et il dut reconnaître que l’or, qui forme en effet au Fazogl un objet de commerce important, provient de contrées plus lointaines. Toutefois, si le vice-roi n’atteignit pas le but qu’il s’était proposé, son expédition ne fut pas stérile : la géographie lui dut de nouveaux et précieux détails sur l’aspect des régions que le Nil-Bleu parcourt.

Entre Khartoum et Sennâr, le fleuve, bien que souvent intercepté par des bancs de sable, est navigable pour les petits bâtimens égyptiens. Le paysage devient plus agreste à mesure que l’on s’enfonce dans les contrées plus méridionales. Des tamarins, des acacias, des arbres particuliers aux régions du tropique, bordent les rives. De loin en loin, quelques habitans du Sennâr mènent au fleuve leurs brebis et leurs dromadaires, et plus fréquemment aussi des zèbres et des chamois descendent ou bondissent en troupes sur la rive du Nil-Bleu. Le long des lies et sur les rochers, des crocodiles chauffent au soleil leur corps informe, et attendent patiemment une proie, ou plongent avec rapidité au bruit que font les barques en passant. Le bourg de Kamlin, au sud de Khartoum, possède le seul établissement manufacturier de ces régions : c’est une fabrique de sucre, de rhum et de savon. Ouad-Medina, vers l’embouchure d’une rivière appelée Ragat, renferme une population de quatre mille âmes, chiffre assez considérable pour une ville du Sennâr.

Au-delà de ce lieu, l’expédition de Méhémet-Ali vit d’innombrables bandes de grues qui passaient à tire-d’aile au-dessus des bateaux, et se dirigeaient du sud vers le nord. Cette émigration fuyait la chaleur et les pluies diluviennes. Des pintades et du menu gibier s’échappaient à chaque instant des