tout lieu d’espérer avoir arraché ton âme à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, lorsqu’un matin tu avais quitté le couvent en lui laissant une lettre pleine de tendres adieux et un don d’une charité princière pour être distribué aux pauvres.
« — Depuis lors, ajouta le digne prêtre les larmes aux yeux, je n’ai plus entendu parler de lui, et cependant Dieu m’est témoin que je n’ai jamais cessé un instant de penser aux douleurs secrètes qui empoisonnent la vie de cet ami, de ce fils que la Providence m’avait envoyé, et qu’elle m’a retiré. Que sa volonté soit faite! Le 24 février, jour où il nous a quittés, je ne manque jamais de célébrer une messe pour le salut de son âme. Cet anniversaire tombe demain, et vous ne refuserez pas, j’en ai la confiance, d’y assister.
« Tu devines ma réponse, et je pourrais me dispenser d’ajouter que le 24 février, à neuf heures, j’étais dans la petite église des pères franciscains de Damas, agenouillé sur la pierre, près de l’autel, et que je joignais au saint sacrifice des prières bien sincères de cœur, si près de celui d’en haut elles n’ont pas grosse autorité, mon pauvre vieil ami ! »
Sans avoir la plus faible intention de compliquer ce mystère, il me faut, pour te faire passer ce que je tiens moi-même de ses fils, il me faut, dis-je, rouvrir le livre de mes vieux péchés, et te conduire sans préambule dans un des salons des Frères-Provençaux.
Le dîner avait été des plus fins, et si bonne la compagnie réunie sur l’invitation hospitalière de mon ami G..., dans le salon bleu (tu vois cela d’ici), que, pour ne pas clore impromptu une aimable soirée, le dessert à peine terminé, la table à manger se métamorphosa en table de lansquenet. Nous étions là toutes personnes de connaissance, presque amis intimes, à l’exception d’un jeune Anglais, nommé Andrew Campbell, que je rencontrais pour la première fois, et dont la personne et les manières firent une si profonde impression sur mon esprit, qu’aujourd’hui son portrait est aussi pré- sent à ma mémoire que si notre dernière entrevue datait d’hier. Non que, pour te le décrire en style de passeport, je ne pusse pas très avantageusement emprunter le signalement banal qui caractérisait le mien ou le tien à cette époque : vingt-trois ans, 1m 75, yeux bruns, cheveux châtains, nez moyen, bouche moyenne, visage ovale, teint clair. Signes particuliers : néant! Mais il y avait sur ce jeune front un indéfinissable cachet de mélancolie. La fatalité avait tracé là de son doigt de fer des marques indélébiles. Je ne me pique pas certes de lire à première vue ce livre mystérieux, la vie d’un homme, et cependant je devinai d’instinct des remords incessans, une mortelle douleur cherchant à s’étourdir au milieu des ardentes folies de la