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explorateurs du Nil, et qui nous amèneront à parler des derniers résultats obtenus dans l’Afrique équatoriale, suffiront pour montrer dans toute leur diversité les conditions imposées aux voyageurs européens en Afrique.


I. – LE NIL BLEU.

Un des hommes qui, dans la seconde moitié du dernier siècle, se sont le plus passionnés pour les voyages et les découvertes géographiques, avait dès son enfance résolu de consacrer sa vie à la recherche des sources du Nil. Il ne se laissa rebuter par aucune difficulté ; il remonta le fleuve égyptien plus haut qu’on ne l’avait fait avant lui, puis il se dirigea avec une caravane à travers des régions inconnues, des tribus barbares. Il pénétra au sein de l’Abyssinie, vaste contrée que dix explorateurs célèbres ont vue de nos jours, mais que de pauvres jésuites portugais avaient seuls encore visitée. Enfin, après bien des peines et des fatigues, l’Anglais Bruce put croire qu’il avait touché le but de ses recherches. L’Europe proclama qu’il avait trouvé les sources mystérieuses, et lui-même se crut le droit d’écrire : « Enfin je suis parvenu à ce lieu qui a défié le génie, l’intelligence et le courage de tous les peuples anciens et modernes pendant plus de trente siècles. Des rois à la tête de leurs armées essayèrent de le découvrir, et tous échouèrent. Renommée, richesses, honneurs, ils avaient tout promis à celui de leurs sujets qui atteindrait ce but envié, et pas un n’a pu l’atteindre. »

Quatre-vingt-cinq ans se sont écoulés depuis que Bruce célébrait ainsi sa gloire et son triomphe, et ces sources du Nil, qu’il croyait avoir trouvées, nous les cherchons encore Bruce avait vu les sources du Nil-Bleu[1], et ce fleuve n’est que l’affluent du vrai Nil.

Au midi du lieu où le voyageur français Frédéric Cailliaud retrouva en 1821 l’emplacement de l’antique Meroë, sous le 15e degré de latitude nord, le Nil, qui n’a encore reçu qu’un seul affluent, l’Atbara, sur sa rive droite, se divise en deux larges branches. L’une, la plus orientale, porte le nom de Bahr-el-Azrak ; elle coule en général sur un fond de roche, et sa limpidité lui a fait donner le nom de Nil-Bleu. L’autre, Bahr-el-Abiad, roule ses eaux dans un lit argileux qui leur communique une couleur laiteuse : c’est le Nil-Blanc.

Le Nil-Bleu traverse le lac Dembea ou Tsana, contourne les montagnes de l’Abyssinie, arrose cette contrée dans sa partie méridionale et traverse le Fazogl et le Sennâr. Au confluent des deux fleuves s’élève la ville de Khartoum, que le vice-roi d’Égypte Méhémet-Ali fit bâtir vers 1824 pour assurer sa domination sur les régions situées entre les deux Mis. En 1829, Khartoum ne se composait encore que d’une trentaine de huttes en bois et en terre ; mais cette ville a récemment pris une grande extension, et un voyageur anglais qui la. visita il y a six ou sept ans, sir George Melly, ne lui donne pas moins de trente mille habitans, tous musulmans, moins une douzaine

  1. Bruce n’était pas le premier Européen qui eût visité les sources du Nil-Bleu. Un voyageur anglais a démontré que l’honneur de cette découverte appartient aux jésuites portugais Pierre Paëz et Jérôme Lobo. Dissertations de Ch. Beke dans le Bullet. de la Soc. de Géogr. de Paris, mars, avril, mai 1848.