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l’oublieraient-ils en effet ? Ils jouissent encore de son œuvre : le règlement général, le Sibirskye oustar, rédigé par le réformateur, n’a pas cessé de servir de base à l’administration du pays. On s’étonne moins des gracieux tableaux tracés par les derniers voyageurs européens en Sibérie, quand on interroge la vie et les actes du gouverneur-général. Le Norvégien Hansteen, le Prussien Erman, l’Anglais Hill, le Finlandais Castrén, sont d’accord pour signaler, de Tobolsk à Nertschinsk, les progrès de l’administration et l’humanité des mœurs. — Ces progrès constatés par des témoins si divers, on sait maintenant à qui on les doit.

Pendant que Spéranski exerçait en Sibérie sa bienfaisante action, deux hommes administraient la Russie dans un esprit bien opposé à celui-là : c’étaient le ministre Arackchef et l’archimandrite Photius, l’un orthodoxe jusqu’au fanatisme, l’autre ennemi déclaré de toute inspiration libérale. Spéranski avait terminé sa tâche en Asie ; il sollicita la grâce de rentrer à Saint-Pétersbourg, non par ambition assurément, mais pour goûter le repos qu’il avait si bien mérité et finir ses jours au milieu de ses amis. La Sibérie n’avait plus besoin de sa présence, il lui laissait tout un système de lois et une administration fortement constituée. Alexandre ne se refusa pas au vœu de son ancien ami. C’était en 1821. Après onze ans d’exil, Spéranski, grandi encore par l’infortune, illustre aux yeux de tous par son gouvernement de la Russie asiatique, rentrait enfin à Saint-Pétersbourg, aussi modeste en son triomphe qu’il avait été résigné dans la hibitke du proscrit. L’esprit public était bien changé. On sait combien les guerres européennes de 1812 à 1815 avaient, répandu d’idées nouvelles chez les peuples du Nord. Par l’Allemagne, la France et l’Angleterre, la Russie était initiée au mouvement de la société occidentale ; la jeune noblesse avait rapporté de Paris et de Londres des espérances qui l’enivraient. Le joug d’Arackchef était odieux ; ce système d’immobilité et d’arbitraire, supporté pendant l’effervescence de la lutte, irritait les intelligences d’élite ; on voulait des institutions qui associassent les classes éclairées aux intérêts publics, et l’exilé dont le nom éveillait le souvenir des premières tentatives libérales de la Russie fut accueilli avec transports. Spéranski ne se fit pas illusion. Alexandre, il le savait bien, n’était plus le réformateur qu’il avait si tendrement aimé ; le chef de la sainte-alliance était devenu le chef de la réaction illibérale en Europe. Arackchef et Photius étaient les ministres qui lui convenaient ; Spéranski ne pouvait plus être pour lui un conseiller intime, c’était un serviteur éminent dont il devait utiliser le dévouement et la science, mais à qui il était impossible de confier la direction des affaires. L’exilé de 1812 fut comblé d’honneurs. Nommé chef de la commission administrative