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qui, mêlées depuis des siècles à la société de l’Occident, contenaient précisément les germes de ces institutions meilleures qu’il rêvait pour sa patrie. C’est ainsi que, chargé plus tard de classer les lois et les règlemens des provinces baltiques, il rendit à la Courlande, à l’Esthonie, à la Livonie, le même service qu’il avait rendu à la Finlande. Les pays qu’on appelle en Russie pays de privilèges, c’est-à-dire les provinces administrées par des états ou diètes, ont tous les mêmes obligations à la mémoire de l’intelligent réformateur. Qu’on ne voie pas ici une contradiction chez le ministre qui voulait donner à l’empire des tsars une législation uniforme ; je viens de dire quelles espérances il fondait sur ces semences d’une culture politique plus élevée. En agissant ainsi, il travaillait pour l’avenir. Les esprits vraiment politiques n’obéissent pas aveuglément à des théories absolues, ils s’accommodent aux lieux et aux circonstances. Novateur dans la vieille Russie, conservateur dans les provinces baltiques, Spéranski, malgré des contradictions apparentes, était fidèle à ses pensées de réforme.

Ses ennemis le savaient bien. L’ardeur avec laquelle il marchait à son but, les succès, partiels sans doute, mais si éclatans déjà, qu’il avait remportés sur l’administration routinière, irritaient de plus en plus les défenseurs intéressés du désordre. Une opposition redoutable se forma. Ici, c’étaient les envieux, les courtisans jaloux ; là, c’était le vieux parti moscovite. Les uns étaient de grands seigneurs infatués qui détestaient chez Spéranski un homme fils de ses œuvres ; les autres étaient des boyards, esprits incultes, caractères fanatiques, qui maudissaient comme un impie le représentant de la société occidentale. Toutes ces passions firent alliance. Le parti moscovite était profondément irrité contre le tsar ; mais n’osant s’attaquer au souverain, il le frappa dans son ami. Les coups étaient bien dirigés. Pendant les années 1810 et 1811, il y eut dans les rangs supérieurs de la société russe une guerre de tous les jours contre le ministre novateur. Intrigues, outrages, calomnies, toutes les armes furent employées pour le perdre. On l’appelait le perturbateur du repos public ; on le représentait comme le fléau de l’état ; il était vendu à Napoléon et travaillait à la ruine de la Russie. Plus attristé qu’effrayé de ces fureurs, Spéranski attendait en silence la fin de la tempête. Il espérait que le courage de son maître ne lui ferait pas défaut jusqu’à l’heure où le succès couronnerait son œuvre et imposerait silence aux plus violens. Déjà l’administration suivait une marche plus régulière, l’état des finances s’améliorait, les recettes de l’empire avaient pris un accroissement notable, tandis que le budget des dépenses, grâce à un contrôle vigilant et à de sages mesures d’économie, diminuait d’année en année. Spéranski se croyait sûr de vaincre ;