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France était une promesse de réformes intérieures. Ce que je dis là n’est pas seulement une conjecture. Comment révoquer ce fait en doute, lorsqu’on voit Alexandre, trois années plus tard, à l’heure de la rupture avec la France, se séparer violemment, cruellement, de l’homme qui avait été pour lui le plus affectueux des amis, le plus dévoué des serviteurs ?

Le concours de Michel Spéranski était tellement indispensable à Alexandre, que le jeune ministre, malgré son goût marqué pour l’administration intérieure, se trouve mêlé à tous les événemens de la politique étrangère. Nous venons de le voir à Erfurt, suivons-le maintenant en Finlande. Quelques mois avant l’entrevue d’Alexandre et de Napoléon, la Suède, dominée alors par l’Angleterre et hostile à Napoléon, avait fourni bien maladroitement un prétexte aux entreprises de la Russie. La Russie était notre alliée ; elle ne devait pas négliger l’occasion de satisfaire d’anciennes convoitises, en prenant les armes contre Gustave III au nom du blocus continental. On sait trop ce qui arriva : la Suède fut vaincue, et le 19 novembre 1808 la convention d’Olkioki fit de la Finlande une province russe. Pendant la première moitié de l’année 1809, la Finlande fut occupée et gouvernée militairement ; à peine revenu de son voyage à Erfurt, Alexandre s’empressa de régulariser sa conquête et de l’incorporer à l’empire. Spéranski fut chargé de cette mission : il partit pour la Finlande, étudia le pays, interrogea son histoire, ses traditions, ses coutumes, et, trouvant là un ensemble de lois et de franchises qui faisaient partie de la vie nationale, il comprit que son devoir était de les respecter. Spéranski fut dans les conseils du tsar le défenseur des lois de la Finlande. La cause était difficile, des influences puissantes combattaient énergiquement ses vues ; il lutta sans relâche et finit par triompher : la noble Suomi[1], tant regrettée des Suédois, conserva ses états, et avec eux la plus grande partie de ses droits et de ses franchises. La Finlande n’a pas oublié son bienfaiteur : les voyageurs qui visitent la ville d’Abo, ancienne capitale de la province, peuvent voir dans la grande salle de l’université le portrait de Michel Spéranski, placé, après la mort du comte, au milieu de ceux des maîtres et des savans qui furent l’honneur de cette illustre école[2].

Tel fut le rôle de Spéranski dans les affaires de Finlande. Ce n’était pas seulement chez lui un acte de condescendance politique ; préoccupé du désir de réformer la Russie et de l’assimiler peu à peu à l’Europe civilisée, il avait une sympathie naturelle pour ces provinces,

  1. C’est le nom finnois, le nom national de la Finlande.
  2. Ce portrait a été demandé par l’université d’Abo à la fille du comte Spéranski, Mme la comtesse de Bagréef.