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de Spéranski exigeaient ces diplômes, et le règlement des examens faisait en sorte que la garantie fût sérieuse. Ce fut là sa première attaque aux privilèges de l’aristocratie moscovite, en même temps que l’établissement d’un contrôle financier exaspérait des milliers de fonctionnaires.

Quand on parle d’un réformateur politique, quand on sait surtout que ce réformateur a été investi pendant dix-huit mois d’un pouvoir presque, dictatorial, on est exigeant avec lui. On lui demande pourquoi il n’a pas fait davantage ; on s’étonne que son œuvre n’ait pas eu une durée plus longue. C’est le sentiment que j’éprouvais en lisant la vie du confident d’Alexandre dans le récit trop bref d’un écrivain russe, M. Bantich-Kaminski. Rappelons-nous pourtant la situation ; cette espèce de dictature ministérielle accordée par le tsar à Spéranski rencontrait sans cesse des obstacles. Les deux plus grands, après la résistance de l’aristocratie, c’étaient les mœurs mêmes du pays et les caprices du tsar. Toutes ces réformes faisaient partie d’un système unique ; il fallait les publier ensemble après y avoir préparé les esprits. Le tsar approuva les plans de son confident ; mais, à la fois impatient et timide, il ne voulut ni différer l’exécution de certaines mesures ni promulguer du même coup le système tout entier. Grande faute assurément : il est des réformes qu’il ne faut pas exécuter à demi. L’aristocratie des vieux Russes apprit qu’on la craignait encore, et Alexandre, à partir de ce moment, fut trop souvent le jouet des intrigues de sa cour. Quant à Spéranski, s’il eût été moins aveuglé par sa confiance, il eût pu pressentir dès-lors quels dangers le menaçaient. Il comprenait mieux la faute commise par le tsar, lorsque, cinq ans plus tard, au milieu des tristesses de l’exil, il lui écrivait cette lettre si digne, où l’erreur du souverain est expliquée avec un singulier mélange de respect et d’ironie. « Asseoir l’autorité du gouvernement sur la base des institutions et des lois et lui assurer par là une dignité plus haute en même temps qu’une force plus solide, telle était l’inspiration de ce code, dit-il. Il eût été plus avantageux sans nul doute de faire paraître à la fois toutes les dispositions qu’il contenait après les avoir mûrement élaborées, après y avoir peu à peu préparé les intelligences. L’ensemble de l’édifice se serait découvert aux regards dans toute l’harmonie de ses proportions. Les diverses parties de cette vaste réforme étant étroitement liées les unes aux autres, l’unité s’établissait immédiatement ; aucun trouble, aucune incertitude dans les esprits, aucune confusion dans la marche des affaires. Votre majesté impériale ne redouta pas cette confusion et ces incertitudes. J’ose dire que deux craintes différentes dominaient votre pensée : d’un côté, la crainte d’accomplir trop tardivement les réformes que vous