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elle servait bien l’ambition du chef officiel de l’école, elle maintenait aussi entre les artistes groupés autour de lui une concorde extérieure et des habitudes de bonne compagnie qui disciplinaient les amours-propres ou réprimaient l’esprit d’agression. On peut dire sans exagération qu’à partir du moment où Gérard cessa d’exercer son empire, les mœurs de notre école perdirent de leur dignité, et que toutes les violences, toutes les ruses employées de nos jours pour arriver vite ou pour faire arriver les siens n’ont si bien réussi que faute d’une autorité assez habile pour régenter encore ces convoitises, assez forte pour faire prévaloir le respect de soi-même sur la soif du succès à tout prix.

Suit-il de là que Gérard n’ait donné aucun mauvais exemple, et son influence sur les peintres de son temps suffit-elle pour l’absoudre de ses fautes personnelles ? Nous sommes bien loin de le penser. Il faut au contraire soigneusement distinguer entre la conduite de l’homme, du fonctionnaire plutôt, et les œuvres de l’artiste. Si Gérard dans la seconde moitié de sa vie a eu le mérite de ne méconnaître aucun talent, de diriger et souvent de devancer l’opinion dans la voie de la justice, en revanche il a eu le tort bien grave de mésuser des dons reçus et de mettre sa propre habileté au service d’une popularité éphémère, lui qu’une ambition plus haute avait animé au début. À quoi bon répéter ce que nous avons dit déjà et insister sur la transformation de ce talent, qui, après avoir révélé un maître n’accuse plus que les entraînemens d’un esprit gâté par le succès ? Ne fut-il pas bien puni d’ailleurs au lendemain même de ses triomphes, et, sans parler de l’indifférence actuelle, ne lui a-t-on pas fait payer assez cher et ses succès légitimes et les succès qu’il avait surpris ? Tant que Gérard resta en vue, l’habitude du respect pour sa personne put faire illusion sur la faiblesse, fort peu douteuse pourtant, de ses ouvrages ; mais un jour vint où les événemens publics le précipitèrent du rang où il s’était jusque-là maintenu, et, par une singulière coïncidence, la cause des révolutionnaires dans l’art se trouva gagnée en même temps que la cause de la révolution politique. Un même coup renversa toutes les vieilles royautés. Dans la peinture comme ailleurs, ce qui survécut du passé dut se résigner à l’oubli et s’effacer devant les gloires ou les fortunes nouvelles. Gérard avait l’âme haute, il porta fièrement sa disgrâce. La perte de sa place, dont il s’était au reste volontairement démis après les journées de juillet 1830, le vide qui se faisait autour de lui à mesure que d’autres talens prenaient faveur, rien ne put lui arracher ces plaintes banales sur la rigueur du sort ou l’ingratitude des hommes qui soulagent les douleurs vulgaires et quelque fois endorment la conscience. Les regrets qu’il éprouvait étaient à la fois plus amers et plus nobles : il se sentait désarmé par sa faute et