Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/800

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en franche vanité, jamais la crainte de se susciter des rivalités dangereuses ne le retint lorsqu’il s’agit de servir la cause des jeunes talens qui venaient à se produire. Si Gérard n’eût consulté que les intérêts de sa situation, eût-il mis tant de zèle à attirer les encouragemens sur les artistes qui semblaient le mieux en mesure de lui porter quelque jour ombrage ? Ce ne pouvait être certes par calcul égoïste qu’il s’employait en faveur de M. Ingres à une époque où celui-ci ne trouvait pas même à vendre ses tableaux, qu’il dénonçait en quelque sorte à l’attention publique le futur peintre de l’Apothéose d’Homère, et que plus tard, lorsque vinrent avec les premiers succès les vives critiques, il lui écrivait à Rome pour raffermir son courage et stimuler son ambition. On sait l’éclat des débuts de Léopold Robert. Gérard, qui, six ans avant le jour où parut l’Improvisateur napolitain, présumait assez bien de l’avenir pour se porter auprès du ministre de l’intérieur garant du jeune artiste et déclarer par écrit qu’une décision favorable à son protégé a serait également honorable et avantageuse pour notre école, » — Gérard ne se contenta pas d’applaudir aussi hautement que personne à ces débuts qu’il avait préparés ; il voulut encore solliciter par son propre exemple la munificence de l’état, et, en commandant deux tableaux à Robert, ajouter au prix de son suffrage l’à-propos d’un utile encouragement. M. Delaroche, M. Schnetz, plusieurs autres encore parmi ceux qui s’acheminaient vers une célébrité prochaine, ne reçurent de Gérard que des témoignages de haute estime et des éloges sans arrière-pensée d’envie. Les chefs mêmes ou les soldats de ce qu’on appelait alors « la faction romantique, » bien loin d’être traités en ennemis, se virent accueillis par lui comme s’il n’eût eu rien à perdre dans le triomphe de la nouvelle cause. Tandis que Gros, le vrai précurseur pourtant de cette insurrection contre les doctrines académiques, s’évertuait à répudier toute complicité avec les novateurs et leur déclarait la guerre non sans une animosité un peu puérile, le peintre de Psyché rendait justice à ce que leurs intentions avaient de sain, suivait d’un œil attentif leurs efforts, sans partager pour cela toutes leurs espérances, et ne marchandait pas son intérêt à des talens qui pouvaient lui devenir hostiles. Dans le salon de Gérard, dans ce salon qui a laissé une si brillante tradition, et où s’empressaient les personnages les plus considérables de la France et des pays étrangers, il l’avait placé encore pour les hommes dont la position n’était pas faite, pour ceux que recommandaient seulement des promesses de talent ou un commencement de notoriété. Tout était-il pure bienveillance dans cet accueil fait aux représentons de chaque parti, et n’y avait-il pas, un peu de diplomatie au fond de cette urbanité, même ? Peut-être, mais le grand mal après tout ! Calculée ou non, l’affabilité de Gérard n’en tournait pas moins au profit de tout le monde. Si