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lari, qui, étant allé en Hongrie dans un intérêt commercial (les commerçans florentins allaient partout), devint général de l’empereur Sigismond. Presque tout ce qui fut grand à Florence, à commencer par les Médicis, sortit du comptoir. À l’époque de la renaissance, le divorce qui s’établit trop souvent de nos jours entre l’utile et le beau n’existait pas ; l’industrie était sœur de l’héroïsme ; les bourgeois des républiques italiennes montraient les sentimens et avaient quelques-unes des coutumes de la chevalerie ; l’industrie donnait la main aux arts et aux lettres. Ce sont les drapiers de Florence qui ont élevé la cathédrale de Brunelleschi. Les navires marchands des Médicis rapportaient des manuscrits grecs avec les épices du Levant. Un biographe estimable du xve siècle, appelé Vespasien Bisticci, était un simple libraire, mais c’était en même temps, comme d’autres libraires de cette époque, un érudit, un collecteur de manuscrits passionné et instruit. On a donné place, dans l’Archivio, à plusieurs biographies de ce Plutarque modeste ; elles sentent un peu le panégyrique, ce qui arrive quelquefois à Plutarque, et sont écrites comme les siennes avec cette bonhomie si inattendue chez un rhéteur grec, et dont Plutarque, comme l’a si bien montré M. Villemain, doit un peu parmi nous la réputation à son traducteur Amyot.

Un autre exemple de cette alliance du commerce et des lettres est donné par Philippe Sassetti, que M. Polidori, l’un des plus actifs collaborateurs des Archives, appelle avec raison dans sa docte préface un marchand philologue. C’était en effet un négociant comme il n’y en a peut-être pas beaucoup aujourd’hui, celui qui, au moment de s’embarquer pour les Indes, écrivait à un ami que, s’il acquérait dans son voyage la moindre connaissance, il s’en tiendrait plus riche et plus content que de tout autre profit, et qui, tout en faisant le commerce du poivre, faisait aussi des collections d’histoire naturelle et des observations sur la déclinaison de l’aiguille aimantée. La biographie de Sassetti lui-même est aussi intéressante que celles qu’il a écrites. L’une de ces biographies est cependant celle de François Ferrucci, le défenseur de Florence pendant le siège de 1529, celui qu’on a appelé le dernier des Italiens, et qui mourut avec l’Italie, car c’est là qu’elle est morte, — je me hâte d’ajouter, autant qu’un peuple peut mourir.

Ferrucci aussi avait été marchand avant d’être général ; mais ce marchand débuta, dans sa jeunesse, par défier le bravo le plus renommé de la Toscane et par agir très chevaleresquement et très militairement en plusieurs rencontres. Puis il s’en alla à Naples escarmoucher en amateur parmi les bandes noires contre les Espagnols. Quand vint le siége de 1529, nommé commissaire général de la guerre et commandant de l’armée qui tenait tête à l’ennemi, il montra autant d’habileté que de courage, sut prendre Volterra aux Espagnols et