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le portrait du comte d’Artois en uniforme de colonel-général des carabiniers, satisfont mieux, j’en conviens, aux conditions de l’art, et rappellent en partie les anciennes qualités de Gérard ; mais à côté de ces œuvres dignes à quelques égards de leurs aînées combien n’en citerait-on pas où le mérite de la composition ne rachète nullement les imperfections du dessin et du coloris ! Est-ce le portrait de la Duchesse de Berri avec ses enfans, l’une des productions capitales de Gérard à cette époque et aussi l’une des plus applaudies, qui autoriserait la moindre réserve contre les sévérités actuelles de l’opinion ? Il ne serait que juste au contraire de condamner franchement dans ce malencontreux ouvrage la pauvreté des intentions, la mollesse et la maigreur du dessin, et par-dessus tout une âpreté de coloris auprès de laquelle les fautes les plus graves contre l’harmonie commises ailleurs par le peintre semblent presque des peccadilles. Gérard, nous l’avons dit, ne put jamais acquérir, sur la valeur relative des tons et sur l’art de les associer les uns aux autres, des notions parfaitement saines. Coloriste assez fin dans l’exécution isolée des morceaux, il cesse de l’être lorsqu’il s’agit de déterminer entre les diverses parties de son travail la mesure des oppositions ou des rapports. Souvent le voisinage d’un ton mal choisi fausse ou dénature sous sa main l’effet des tons environnans. En signalant certaines anomalies de ce genre qui déparent le portrait de Mme Laetitia Bonaparte, nous avons indiqué un côté défectueux du talent de l’artiste ; dans le portrait de la duchesse de Berri, les erreurs sont bien autrement évidentes, et la crudité de l’aspect général, le ton bleu-clair de cette robe accolé au ton orange du siège, tout, jusqu’à la couleur plombée du paysage, prouve assez que ce qui n’était autrefois qu’un défaut avait pris chez Gérard les proportions d’un vice, ou tout au moins d’une véritable infirmité pittoresque.

Il faut donc reconnaître dans les travaux de Gérard, devenu le premier peintre du roi et le favori déclaré de la foule, un mérite infiniment moindre que dans les ouvrages auxquels il avait dû une renommée et des succès plus modestes. Hâtons-nous d’ajouter que, s’il ne justifia que très incomplètement son élévation par les productions de son pinceau, il la justifia pleinement par les habitudes honorables de sa vie et la dignité de son caractère. Combien d’autres, à la hauteur où il était placé, eussent été pris de vertige, ou n’eussent fait usage de leur autorité que pour écarter tout ce qui de près ou de loin pouvait la menacer ou la compromettre ! On ne saurait dire que chez lui le désintéressement fût poussé à ce point qu’il fît bon marché de lui-même et de sa supériorité personnelle. Peut-être même, malgré sa justesse d’esprit et sa clairvoyance ordinaires, avait-il fini par prendre un peu trop au sérieux l’engouement dont il était l’objet. En tout cas, jamais ce sentiment de sa propre valeur ne dégénéra