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par le soin qu’il apportait à concilier avec la dignité une modestie de bon goût, et les agrémens de son commerce achevant de donner le change sur la valeur réelle de ses ouvrages, il n’était pas de salon où l’on ne pensât en toute sincérité ce qui avait été dit de « ce peintre des rois, qui était aussi le roi des peintres. » Louis XVIII le crut comme tout le monde. En accordant à Gérard le titre de premier peintre, il ne fit que sanctionner une opinion accréditée, et si Gros et Girodet purent trouver en secret la faveur quelque peu excessive, personne, même parmi les artistes, ne refusa d’y applaudir.

Comment Gérard justifia-t-il cette haute faveur, et par quels travaux acheva-t-il de mériter la place qu’on lui assignait à la tête de l’école française ? À l’exception de l’Entrée de Henri IV, tableau préférable, selon nous, à la Bataille d’Austerlitz, parce qu’ici la science de l’arrangement, plus opportunément mise en œuvre, excuse du moins l’insuffisance de la verve et les lourdeurs de l’exécution, tout ce que Gérard produisit au temps de la restauration fait assez peu d’honneur à son talent et à la clairvoyance de ceux qui vantaient ses progrès. Quand on examine aujourd’hui Corinne au cap Misène ou sainte Thérèse, Louis XIV déclarant son petit-fils roi d’Espagne ou le Sacre de Charles X, il est difficile de s’expliquer les éloges prodigués à des compositions tantôt emphatiques et théâtrales, tantôt nulles de tous points. Il est difficile surtout d’oublier ce qu’avait été un pareil talent en face des erreurs où il était tombé. Une fois pourtant Gérard essaya de renouer la tradition de ses premiers succès. Il voulut, en peignant son tableau de Daphnis et Chloé, donner, à trente ans d’intervalle, un pendant à sa Psyché, et se prouver à lui-même qu’il était encore capable d’efforts sérieux et d’étude. On sait le résultat de la tentative. À force de se complaire dans les travaux faciles, son imagination avait perdu le sentiment de l’exquis, son pinceau s’était désaccoutumé de la correction, et là où il avait autrefois exprimé un peu laborieusement la grâce, il ne réussit plus qu’à formuler pédantesquement la fadeur.

Dans la peinture de portrait, la déchéance de ce talent n’est pas moins sensible ; même lorsqu’il lui arrive de rechercher encore la précision du style et cette élégance savante dont il avait su embellir la vérité sans la trahir, il laisse apparaître une impuissance radicale sous les dehors de la sobriété. Retrouve-t-on par exemple le peintre de mademoiselle Brongniart et de madame Regnaud de Saint-Jean-d’Angely dans le peintre de madame de Staël ? Si ingrat qu’ait pu être le caractère physique du modèle, était-ce une raison pour annuler à ce point la physionomie, pour lui ôter si bien sa signification et son accent, que l’auteur de Corinne nous apparût sous les traits d’une femme tout uniment laide ? D’autres portraits, parmi lesquels il est juste de mentionner ceux de Louis XVIII, de Charles X, surtout