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pour ne citer qu’un exemple, le portrait de l’impératrice Marie-Louise avec le roi de Rome offre l’opposition bizarre d’un dessin extérieur positif jusqu’à l’aridité et d’un modelé à peu près nul dans les parties qu’enserrent les contours.

Quelque défectueuse pourtant que fût la nouvelle manière adoptée par Gérard, on pouvait n’y voir encore qu’une espèce de compromis entre les habitudes premières de son talent et ses entraînemens vers un art plus facile. Malheureusement elle avait le triste avantage de séduire à peu de frais la foule et de se prêter à une rapidité de production qui étendrait d’autant plus la renommée du maître. De là les fâcheux écarts auxquels il s’abandonna une fois que le succès eut consacré ses fautes. Afin de satisfaire des gens aux yeux de qui l’authenticité de l’œuvre suffisait pour en garantir le mérite, Gérard ne prit plus le temps de se satisfaire lui-même. Ce fut bien pis lorsque les événemens politiques eurent amené en France les souverains étrangers et les principaux chefs de leurs conseils ou de leurs armées. Chacun d’eux voulut avoir son portrait signé de ce nom qui promettait aux modèles un surcroît de gloire ou d’importance, et dès-lors Gérard ne songea plus qu’à proportionner l’activité de son pinceau au nombre des tâches qu’on exigeait de lui.. Encore fallut-il que, pour les accomplir toutes, il laissât à des aides le soin d’avancer la besogne que sa main étiquetait ensuite en hâte et tant bien que mal. En faisant ainsi de son talent un moyen purement industriel et de son atelier une sorte de manufacture, Gérard se donna un tort grave ; mais n’eut-il que celui-là, et n’est-il pas permis de s’étonner au moins de la facilité avec laquelle s’ouvrit à de nouveaux hôtes cet atelier qui pendant tant d’années avait abrité des hôtes plus dignes du peintre et en tout cas venus de moins loin ? Les arts, on l’a dit trop souvent, n’ont pas d’opinion ; soit, mais que cette indifférence politique n’aille pas jusqu’à laisser soupçonner une atteinte au sentiment de piété nationale ! En dépit d’exemples contraires et de quelques empressemens illustres, il est des cas où le talent a pour devoir de s’abstenir. Toute proportion gardée entre les deux maîtres, Callot refusant nettement à Richelieu de consacrer par l’art la chute de son souverain, le duc de Lorraine, nous semble beaucoup plus digne de sympathie que le grand Léonard lui-même, oubliant du jour au lendemain ses bienfaiteurs et se mettant de si bonne grâce au service des conquérans de son pays.

Quoi qu’il en soit, au lieu de se compromettre auprès du public par son imprudente fécondité, Gérard vit ses succès grandir en raison même de l’affaissement progressif de sa manière. Très habile d’ailleurs à administrer la situation qu’il s’était faite, il se maintenait au-dessus de ses confrères par la distinction de ses manières,