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pittoresques, la Bataille d’Austerlitz est une œuvre digne d’éloges. On t reconnaît partout l’esprit et la main d’un arrangeur habile : Est-ce assez toutefois, et une pareille scène n’exigeait-elle pas l’imagination inspirée, la main passionnée d’un maître ? Rien d’entraînant, rien de vigoureusement expressif dans cette mêlée, ou plutôt dans cette succession d’hommes et de chevaux. En dépit du mouvement qu’ils se donnent pour paraître animés, l’immobilité pèse sur tous ces groupes, et la lourdeur du ton général ajouté encore à l’impression produite par l’aspect consterné du tableau. Qui devinerait le soleil d’Austerlitz, ce radieux soleil de la victoire, dans cette pâle lueur éclairant timidement un coin du ciel, tandis que les héros de la journée restent comme enveloppés d’une brume verdâtre ? Quoi de plus froid, de plus lugubre même que l’image d’un si éclatant triomphe, et que la distance est grande entre cette morose épopée et celles où Gros célèbre avec tant d’ardeur et de puissance les combats du Mont-Thabor, de Nazareth et d’Aboukir !

En ne comparant au surplus le peintre de la Bataille d’Austerlitz qu’à lui-même, il est difficile de méconnaître chez l’auteur de cet ouvrage un commencement de décadence. Les personnages qu’il s’agissait de représenter offraient à Gérard ou des types déjà familiers à son pinceau ou des types conformes à ses études habituelles. Il va sans dire qu’ici la proportion des figures et l’éloignement où elles devaient apparaître lui faisaient un devoir d’apporter quelque modification à sa manière. Néanmoins la part du peintre de portrait restait grande encore dans la tâche imposée au peintre d’histoire ; tout en s’acquittant incomplètement de celle-ci, Gérard pouvait encore se retrouver sur son terrain et compenser, par les témoignages de l’habileté qui lui était propre, son insuffisance à d’autres égards. Qu’advint-il pourtant ? Au lieu de justifier une fois de plus sa réputation dans un genre spécial, Gérard sembla prendre à cœur de la démentir. Même envisagées comme portraits, les figures de l’empereur, de Rapp et des officiers-généraux qui les entourent l’un et l’autre sont véritablement défectueuses. On croirait qu’elles ont été taillées dans le bois, et le vide du modelé intérieur faisant d’autant plus ressortir la dureté des contours, il résulte de ce contraste une expression générale d’inertie bien différente de l’animation tempérée qui distinguait les œuvres précédentes. Jusque-là en effet Gérard avait su concilier, dans l’exécution de ses portraits, la fermeté du dessin avec la souplesse. À partir du moment où il eut peint la Bataille d’Austerlitz (1810), on eût dit que ce secret était perdu pour lui. Sous sa main tantôt trop lourde, tantôt négligente, la précision se convertit en sécheresse, ou ce qui n’était que souple devint mou. Presque tous les portraits qu’il produisit durant les dernières années de l’empire attestent cette méthode à la fois formelle et négative, et,