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au temps du consulat et de l’empire[1], ne sauraient ajouter beaucoup à sa gloire, encore moins justifieraient-elles l’espèce de rivalité ouverte dans laquelle il avait voulu entrer. Les portraits de Gérard se recommandent, avant tout, par l’aisance et la souplesse de l’expression ; les portraits de Girodet ont une apparence raide et grêle, une expression uniforme, ou plutôt, si l’art les habite, la vie ne les anime pas. À force de révisions et de ratures, ce style est de venu si sec, qu’il ne formule plus que le squelette de la pensée ; à force d’être amendé par les parti-pris de l’artiste, le caractère personnel du modèle s’efface, et il ne reste de celui-ci qu’une image froidement correcte, une représentation toute factice qui peut encore mériter l’estime, mais qui ne saurait éveiller la sympathie.

En dehors des œuvres de Gros et de Girodet, qu’y avait-il ? Les rares portraits peints par David ne sont, à vrai dire, que de savantes études. L’art de la composition n’y a point de part, si ce n’est dans le Bonaparte franchissant le mont Saint-Bernard et dans les deux portraits en pied de l’empereur. Le célèbre Pie VII lui-même n’accuse chez David que la volonté de se soumettre pleinement à l’autorité de la nature. Guérin, dont le talent d’ailleurs n’avait rien de cette naïveté nécessaire dans une certaine mesure à tout peintre de portrait, Guérin ne s’essaya dans le genre que traitait Gérard qu’à la condition de déguiser la réalité contemporaine sous des formes empruntées à l’antique témoin certain portrait d’une dame en costume campanien et celui de Henri de la Rochejacquelein, véritable statue d’Apollon ou d’Antinoüs enserrée tant bien que mal dans les habits d’un Vendéen. Les portraits de Prud’hon, tout agréables qu’ils sont, se ressentent trop de l’esprit de système, et l’effet mystérieux que le peintre avait coutume d’introduire dans ses tableaux semble beaucoup moins de mise là où il s’agit de définir aussi nettement que possible la physionomie d’un individu. Quant aux portraitistes de profession, le seul qui jouît alors d’une assez grande réputation, M. Robert Lefèvre, ne saurait être sérieusement opposé à Gérard. Quelquefois, il est vrai, notamment dans le portrait de M. Carle

  1. Quoique assez généralement oubliés aujourd’hui, les portraits peints par Girodet sont nombreux. À partir de 1804 seulement jusqu’en 1824, il en exposa successivement trente-deux, parmi lesquels Larrey, chirurgien en chef de l’armée d’Égypte, Bonchamps et Cathelineau. Plusieurs autres avaient figuré aux salons précédens, et dès 1799 Girodet prenait rang parmi les peintres de portrait en exposant le buste de mademoiselle Lange. On sait le sort de cette toile et la vengeance publique que l’artiste tira des critiques que le modèle lui-même en avait faites. Mlle Lange s’étant montrée peu satisfaite de l’ouvrage, Girodet le lui renvoya coupé en morceaux ; puis, au salon suivant, on vit paraître un second portrait de l’actrice, mais elle était représentée cette fois étendue sur un lit et recevant une pluie d’or, tandis qu’à ses côtés se pavanait un coq d’Inde dont la tête rappelait les traits d’un personnage fort connu par ses assiduités auprès de cette autre Danaé.