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en même temps aux exigences de la mode et aux lois du goût ? Et l’expression exquise du visage, la grâce de l’attitude, tout n’atteste-t-il pas chez le peintre une rare pénétration et une habileté singulière à choisir au moins la vérité ? Seulement, et c’est là ce qui caractérise le talent de Gérard à cette époque, le choix se fait sans hésitation ; la main est prompte et sûre, le pinceau soigneux, mais exempt de sécheresse. Nulle trace d’étude pénible, nul indice d’effort m de longues investigations. Le sentiment se traduit avec une aisance vraiment magistrale, et la délicatesse même des intentions semble résulter d’une inspiration spontanée.

Par quelle étrange anomalie les tableaux de Gérard, — j’entends ses meilleurs, ceux qu’il fit dans cette même période, — se ressentent-ils si peu des influences auxquelles il s’abandonnait en peignant ses portraits ? Comment, au lendemain du jour où il venait de tracer d’une main si libre le portrait de Mlle Brongniart, se raidissait-il dans un système tout contraire pour peindre, pour découper plutôt sur la toile sa Psyché recevant le premier baiser de l’Amour ? Loin de nous la pensée de dénigrer une œuvre justement célèbre. Un peu trop admirée d’abord, elle n’en reste pas moins au nombre des plus remarquables de l’école moderne, et le charme de l’idée poétique qui l’a inspirée suffirait pour que l’on ne dût parler d’elle qu’avec sympathie et respect. Ne faut-il pas reconnaître cependant que dans ce tableau la recherche de la délicatesse dégénère en curiosité subtile, que la grâce même l’est bien près de l’afféterie, et qu’il n’est pas jusqu’aux accessoires dont la forme et le l’on n’accusent des préoccupations plutôt métaphysiques que pittoresques ? Le sujet, je le sais, comportait une élégance, une pureté d’expression au-dessus du fait humain et de la vie réelle ; mais convenait pour cela de raffiner si bien le style qu’il perdît son animation, et que dans une scène destinée après tout à figurer l’éveil subit et les tendres surprises de l’âme, l’accent de la passion, de l’émotion tout au moins, disparût ? Perfectionner le vrai, soit par l’interprétation de la forme comme les statuaires grecs, comme Raphaël ou Léonard, soit par le coloris comme Corrège, tel est l’objet de l’art. Que de fois ne l’a-t-on pas dit ! En rêvant quelque chose de plus que cette conciliation entre ce qui est et ce que l’on pressent, en supprimant la vérité pour idéaliser en quelque sorte l’idéal même, le peintre de Psyché a enchéri sur une abstraction. Par l’élévation et la grâce de la pensée, il s’est montré poète. A-t-il fait aussi complètement œuvre de peintre, c’est-à-dire s’est-il servi du pinceau pour formuler cette pensée dans les termes que lui prescrivait son art, et n’a-t-il pas immobilisé la vie là où il s’agissait seulement de la revêtir d’une apparence et d’une beauté d’élite ?

S’il fallait au surplus montrer par des exemples contraires ce que