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arriva, l’affreux tribunal reçut une nouvelle organisation, et j’en fus exclu. » Puis, répondant à des bruits calomnieux qui l’accusaient de complicité dans la condamnation de Marie-Antoinette : « Je déclare formellement, ajoutait-il, que je n’ai pris aucune part, soit directe, soit indirecte, à la mort de la reine ni à celle d’aucune personne de la famille royale, et j’invoque, à l’appui de ma déclaration, les témoignages irrécusables que peuvent produire les registres du temps et tous les actes judiciaires publiés lors de cette déplorable catastrophe. »

À cette déclaration péremptoire, qu’il n’était pas superflu de reproduire ici, parce que les calomnies d’alors ont porté leurs fruits et qu’aujourd’hui encore une tradition erronée attribue à Gérard le rôle que lui avait attribué autrefois la tactique de ses ennemis, à ce démenti sans réplique il convient d’en ajouter un autre au sujet d’un fait beaucoup moins grave, mais aussi étrangement défiguré. Nous voulons parler de ce célèbre et mystérieux dessin du Dix-Août, si vanté au moment de son apparition, soigneusement caché, — quelques-uns n’hésitaient pas à dire détruit, — par l’auteur au temps de la restauration, puis entrevu dans le cours des années suivantes par certaines personnes privilégiées, mais en définitive perdu pour le public et exclu même aujourd’hui du recueil où l’on a réuni toutes les œuvres de Gérard. Quel est donc ce prétendu témoignage d’exaltation révolutionnaire, et qu’a-t-il en soi de si compromettant ? Sans doute, par la disposition même de la scène et l’intention générale, le Dix-Août est plutôt un hommage à la révolution triomphante qu’une protestation contre ses excès ; mais il n’est pas vrai, comme on l’a dit et comme beaucoup de gens persistent à le croire sur parole, que le peintre ait lâchement déshonoré la victime royale pour mieux flatter les passions populaires. Il n’est pas vrai qu’il ait représenté Louis XVI assistant dans une attitude dégradante à la séance où s’agitent le sort de sa famille et les destinées de son trône. On peut regretter, par respect pour une grande infortune, que l’art ait célébré avec une sorte de complaisance la sanglante victoire du 10 août ; il faut distinguer cependant entre cette expression de sympathie indirecte pour d’assez tristes héros et ce qui est ailleurs la franche apologie du crime. Qui pourrait confondre dans une réprobation égale les entraînemens politiques de Gérard à ses débuts, entraînemens partagés par tous les artistes de son âge, et l’immorale erreur de David glorifiant avec componction les mânes d’un Marat et vouant, hélas ! à cette ignoble besogne un pinceau plus habile, plus savant que jamais ? Mais revenons aux faits, où le talent du peintre est seul en cause, et à l’histoire de ses progrès.

Une fois sûr de pouvoir se livrer tout entier à son art et de vivre