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le mieux en ordre. Rigaud avait peint, avec plus ou moins d’à-propos, des princesses ou des femmes de la cour entourées d’attributs empruntés à l’Olympe ; il n’y eut si mince bourgeoise à qui l’on ne décernât les honneurs d’une semblable apothéose. Puis à cette manie de travestissement mythologique succédèrent des aspirations plus humbles en apparence, au fond tout aussi peu sensées Les déesses une fois hors de mode, ce fut le tour des pèlerines et des bergères. Enfin le besoin de dénaturer le fait, le goût de la débauche pittoresque et de la mascarade en vinrent à ce point qu’on imagina de peindre les femmes sous des habits d’hommes : témoin certain portrait de Mlle de Charolais exposé aujourd’hui dans le palais de Versailles, qui nous montre cette princesse en costume de moine franciscain portant virilement sa besace. De pareilles extravagances toutefois ne faisaient pas si bien loi dans notre école, qu’il n’y eût place à côté d’elles pour des œuvres plus raisonnablement inspirées. Bientôt même celles-ci n’apparurent plus sous forme de protestations isolées ; elles se multiplièrent à l’infini, et vers la seconde moitié du règne de Louis XV elles avaient acquis déjà une autorité au moins égale à l’influence qu’avaient exercée d’abord les étranges caprices que nous venons de rappeler.

Jamais peut-être l’art du portrait ne fut pratiqué en France par autant de gens habiles, jamais les talens n’apportèrent autant d’ensemble dans leurs efforts qu’au temps de Nattier, de Louis Tocqué, de Latour, de Duplessis et de vingt autres maîtres, dont les innombrables élèves allaient propager les doctrines non-seulement dans les écoles de province, mais encore dans tous les pays de l’Europe. Il faut le redire pourtant : si savans, si habituellement ingénieux que se montrent les portraitistes du règne de Louis XV, leur science n’est pas sans affectation, leur sagacité dégénère volontiers en ostentation de finesse. À force de prétendre tout expliquer, ils en viennent à mettre en relief tant d’intentions accessoires, que le sens principal de l’œuvre disparaît sous ce luxe de détails. Voyez par exemple le portrait en pied de Mme de Pompadour peint par Latour. Que l’artiste ait voulu faire pressentir les goûts studieux de son modèle en le représentant entouré de livres, d’estampes et de cahiers de musique, rien de mieux ; mais était-il opportun, pour l’harmonie pittoresque, de placer si fort en vue ces volumes dont on lit les titres, ces gravures dont on reconnaît les contours ? Sans doute la théorie des sacrifices en peinture a ses dangers. Aussi ne demandons-nous pas que l’on aille en ce sens aussi loin que Lawrence et quelques autres peintres anglais qui, pour attirer plus sûrement le regard sur le point jugé essentiel, avaient fini par supprimer à peu près dans un portrait le dessin du corps et des membres, laissant le masque lui-même à l’état d’ébauche et ne s’appliquant qu’à rendre