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Les triomphes qu’il poursuivait alors, il les a obtenus et obtenus pleinement, sauf à porter plus tard la peine de ses préférences ; les applaudissemens qu’on lui a prodigués sont maintenant sans écho, comme les applaudissemens qu’emporte avec lui un acteur disparu de la scène. La scène, tel est le mot qui résume les caractères du talent de Gérard dans sa seconde phase et les préoccupations suprêmes d’un artiste animé d’une plus noble ambition au début. Il a eu ce qu’il voulait, la vogue et le bruit ; puis, de son vivant même, le silence s’est fait autour de ses tableaux les plus vantés à leur apparition. Amère leçon que Gérard, nous le verrons plus loin, comprit lorsqu’il n’était plus temps pour lui d’en profiter, et qui ne devait lui inspirer que des regrets honorables, mais stériles !

La vie de Gérard, comme l’ensemble de ses travaux, peut donc se diviser en deux parts : l’une signalée par des efforts sérieux, par des succès mémorables au point de vue de l’art ; l’autre importante surtout au point de vue de la notoriété personnelle, de cette notoriété que Gérard et ses contemporains avaient prise pour de la gloire, et qui, plus retentissante que solide, s’est brisée depuis au premier choc. Il y a dans l’histoire de ce talent à double face un double enseignement qu’il ne sera pas inutile de dégager. Le temps est venu de parler de Gérard sans passion comme sans réticence, de rechercher dans les engouemens passés la cause et presque l’excuse de l’indifférence actuelle, à la condition de rechercher aussi en quoi cette indifférence est injuste et de placer, en regard des faits qui jusqu’à un certain point l’expliquent, les faits qui d’un autre côté l’accusent formellement et la condamnent.


I


Lorsque Gérard vint en France, — il était ne à Rome, où son père avait un emploi dans la maison de l’ambassadeur de France près du saint-siège, — rien n’annonçait encore la prochaine révolution que David allait accomplir. On était en 1782, et le futur peintre des Horaces, qui devait acquérir trois nnées plus tard le rang et l’autorité d’un chef d’école, n’aspirait pour le moment qu’à l’honneur d’être admis parmi les membres de l’Académie royale de peinture. Le Bélisaire avait paru déjà, mais l’Andromaque pleurant la mort d’Hector était à peine ébauchée, et cette seconde toile, où les arrière-pensées radicales se cachent sous des dehors assez conformes encore au goût régnant, ne pouvait laisser pressentir qu’à quelques amis tout au plus l’influence du nouveau maître. Il était donc fort naturel que les parens de Gérard n’en sussent pas sur ce point plus que la foule ; au moment de mettre leur fils en apprentissage, ils se fièrent, sans