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son existence brillante a plus de part dans les souvenirs de la foule que les toiles qu’il a signées. Qui sait même ? peut-être l’obscurité a-t-elle commencé à se faire autour d’un nom si illustre naguère ; peut-être Gérard ne survit-il plus déjà que dans la mémoire des témoins les plus rapprochés de ses succès. C’est au moins ce que semblait pressentir, Il y a quelques années, un écrivain bien placé pour juger en connaissance de cause chez Gérard l’homme et l’artiste. En publiant une notice d’ailleurs pleine de faits et d’aperçus[1], M. Charles Lenormant ne voulait, il le dit lui-même, que « rappeler pendant quelques instans à la foule oublieuse et ingrate le nom de l’un de ses plus chers favoris, » sauf à donner plus tard à ce qu’il nommait « une esquisse » les proportions et le fini d’un tableau. Il promettait un livre pour achever de venger cette gloire déjà compromise, bientôt peut-être méconnue : le livre n’a point paru, mais une publication d’un autre genre est venue récemment en quelque sorte en prendre la place. Tous les ouvrages de Gérard, rassemblés par des mains pieuses et reproduits par la gravure avec une exactitude sinon irréprochable, du moins presque toujours suffisante, permettent à chacun d’étudier la physionomie générale de ce talent et de le juger sur pièces à peu près authentiques. Au lieu de l’entrevoir ainsi à travers l’œuvre d’autrui, mieux vaudrait sans doute l’envisager directement, mieux vaudrait la réalité que l’image, le texte que, la traduction ; mais les occasions manquent le plus souvent pour cet examen face à face, surtout si on veut l’appliquer aux portraits qu’a laissés Gérard. Les meilleurs spécimens de son habileté en ce genre, — les portraits qu’il a peints vers la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe, — ne figurent pas dans les collections publiques. À l’exception du beau portrait de Jean-Baptiste Isabey, le musée du Louvre n’en possède aucun qui appartienne à cette époque. La plupart de ceux que l’on rencontre dans les galeries du palais de Versailles ne remontent pas au-delà des dernières années de l’empire, et ne sauraient justifier si bien l’ancienne renommée du maître qu’ils nous dispensent d’autres investigations. Quant aux vrais chefs-d’œuvre de Gérard, aux portraits qui résument le mieux sa première manière, ils sont conservés dans des sanctuaires de famille ouverts seulement à un petit nombre d’élus. À peine de loin en loin quelqu’un de ces chefs-d’œuvre traditionnellement célèbres parmi les artistes,) mais inconnus de fait à la plupart d’entre eux, vient-il, comme le portrait de Mlle Brongniart il y a environ dix ans, enrichir une exposition organisée en dehors des expositions annuelles. Le grand jour n’éclaire qu’un moment la toile soustraite ainsi à la vénération domestique ;

  1. François Gérard, peintre d’histoire, essai de biographie et de critique ; Paris 1846.