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verses transformations qu’il a subies les lois fixes qui le régissent, l’unité ressort de tant de contrastes apparens, et certaines aptitudes héréditaires, certaines inclinations communes viennent relier entre eux des talens que l’on pouvait, à première vue, croire en désaccord. Comment s’expliquer, par exemple, l’habileté supérieure avec laquelle la peinture de portrait a été traitée de tout temps en France, si l’on refuse aux peintres de ce pays un fonds de qualités instinctives, des privilèges d’intelligence transmis avec le sang, et, jusqu’à un certain point, des doctrines permanentes ? À coup sûr, dans cet ordre de travaux comme ailleurs, bien des différences se font sentir, qui résultent de la mode et des influences régnantes ; bien des variations de goût, de style et de pratique donnent à chaque groupe d’œuvres sa signification particulière et sa date. Que l’on ne s’y méprenne pas toutefois, ces œuvres diffèrent sans se contredire. Les témoignages d’une pénétration singulière, une intelligence profonde de la physionomie et du caractère des modèles, l’expression en un mot de la vérité morale, voilà ce qui recommande les portraits de l’école française, à quelque époque qu’ils appartiennent ; voilà ce qu’il faut admirer plus encore que les qualités purement pittoresques dans les crayons de Dumonstier ou de Quesnel comme dans les pastels de Nanteuil et de Latour, dans les miniatures à l’huile du XVIe siècle comme dans les émaux du XVIIe, dans les toiles de Robert Tournières, de Largillière et de leurs contemporains, comme dans les toiles qu’ont signées leurs successeurs.

Pour réduire à sa juste valeur ce reproche de mobilité excessive que l’on a coutume d’adresser à notre école, il suffirait donc d’examiner comment elle a compris et pratiqué depuis plusieurs siècles l’art difficile du portrait. Peut-être de tous les genres de peinture est-ce en effet celui où elle met le mieux en lumière les caractères qui lui sont propres ; peut-être là plus qu’ailleurs se montre-t-elle fidèle à ses origines, à ses traditions, à cet esprit de fine exactitude et de mesure qui semble l’inspiration principale et comme la conscience de l’art français. En tout cas, elle ne fait preuve nulle part d’une fécondité aussi continue. Les peintres d’histoire, de paysage et de genre, j’entends les maîtres dans la stricte acception du mot, n’apparaissent qu’à certains momens, et quelquefois après ces momens privilégiés s’ouvre une longue période d’épuisement ou de déchéance. Un siècle sépare l’époque de Poussin et de Lesueur de l’époque où avait surgi Jean Cousin. Lebrun mort, il faut qu’un autre siècle s’écoule avant que David et ses élèves vengent les lois avilies de la peinture d’histoire. Entre Claude Lorrain et Joseph Vernet, quel paysagiste éminent vient à se révéler ? Watteau, Chardin, Granet, tous les peintres de genre véritablement dignes de figurer