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sans doute lorsque, confondue avec les différens peuples de la terre sur le terrain de la liberté politique, elle aura mêlé les croyances, les usages, peut-être même le sang d’Israël à la vie des gentils. Pourquoi s’en plaindre ? Les races n’ont dans la physiologie de l’humanité qu’une fonction temporaire. Les Juifs ont été au moyen âge les promoteurs du commerce, aujourd’hui cette spécialité ne leur appartient déjà plus. Le type judaïque, ce type flexible qui a résisté en cédant, qui s’est prêté sans s’altérer aux transformations diverses des temps et des lieux, traverse dans ce moment-ci une épreuve toute nouvelle pour lui, l’épreuve de la tolérance ; mais, s’il doit en sortir modifié, le rameau israélite pourra toujours garder son originalité. Il suffit que le peuple élu sache concilier sa foi dans l’indestructibilité morale de la patrie avec les leçons et les bienfaits de la liberté. Il faut enfin que dans la vie religieuse comme dans la vie civile il sache tirer parti des enseignemens de l’exil. Ses lois, ses usages, ses traits extérieurs, modifiés par le contact avec les autres nations et par l’influence des différens climats, les habitudes commerciales qu’il a contractées depuis près de dix-huit siècles, ses progrès dans les sciences et les arts, tout doit neutraliser aujourd’hui cette politique d’initiés qui était imposée au peuple d’Israël par les anciens prêtres, et que certains rabbins modernes s’efforcent vainement de relever. Rien ne ressemble moins à l’isolement farouche des anciens Juifs que la tolérance des Israélites éclairés de notre temps. À ceux qui en douteraient, on peut opposer, comme un témoignage victorieux, ces nobles paroles où Mendelssohn résume le progrès et les devoirs de la race juive : « Les meilleurs principes religieux sont ceux qui se rattachent le plus étroitement aux intérêts généraux de l’humanité. »


ALPHONSE ESQUIROS.