Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/771

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

haut degré les théologiens et les professeurs hébreux de l’Allemagne. Après une vive discussion, à laquelle prirent part les Juifs de toute l’Europe et de l’Amérique, le projet fut rejeté. Il fut décidé que la reconstitution de la nationalité hébraïque devait avoir lieu à Jérusalem et non ailleurs. Je n’approfondirai pas les motifs qui, en dehors du point de vue religieux, ont sans doute motivé une résolution négative[1].

Là s’arrête l’histoire des Juifs modernes, si l’on veut rester dans les limites que s’est tracées l’annaliste hollandais d’Israël, M. da Costa. On s’étonnera peut-être que, traitant des destinées générales du rameau Israélite, l’auteur n’ait point étendu ses recherches à la Pologne[2], à la Hongrie, à la Turquie, où les Juifs sont très nombreux, et se distinguent du reste de la population par des traits caractéristiques. M. da Costa n’a étudié les vicissitudes de la race juive en dehors de la Néerlande que dans les rapports qu’elles peuvent offrir avec l’histoire des Israélites hollandais. Il reste sans contredit à écrire après lui une véritable histoire d’Israël. Il y a bien aussi quelque chose de singulier dans la situation personnelle de l’auteur, juif converti au christianisme et défendant la cause de ses anciens frères. M. da Costa répondrait sans doute avec Bossuet que le chrétien est un juif accompli, et que, touché par le rayon de la grâce, il n’a pas perdu pour cela le droit de se souvenir de sa naissance, de son peuple déchiré par lambeaux et envoyé comme le corps du lévite à toutes les tribus de la terre. Il plaint le sort d’Israël, qui, aveuglé par de faux docteurs, refuse de voir dans l’Évangile la réalisation des prophéties ; mais, ayant vécu lui-même dans cette erreur, il continue de s’intéresser, dit-il, au sort d’une race providentielle, qui a été la tige de la rédemption humaine. Appuyé sur la foi du Christ, qui est venu « non pour détruire la loi de Moïse, mais pour la perfectionner, » M. da Costa se regarde comme le continuateur éclairé et logique de ses anciennes croyances. Cette position de juif converti gêne néanmoins la liberté de ses vues comme historien, et son livre, qui se distingue par quelques pages éloquentes, manque absolument de conclusion.

L’histoire des Juifs, limitée même à la Hollande, ne suffit-elle pas cependant pour autoriser quelques réflexions sur leur état présent et sur leur avenir ? C’est pour s’être considérés comme étrangers au milieu des autres peuples que les enfans de Jacob ont trop long

  1. Plusieurs Juifs éclairés se disent que le sanhédrin, tel que l’a fait surtout la tradition des rabbins et des scribes, serait le plus despotique des tribunaux de la terre. La liberté nationale ne ferait alors que consacrer le plus dur des esclavages, l’esclavage de la conscience.
  2. Vers 1830, on comptait 113,893 artisans juifs en Pologne.