Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/763

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leur infortune. Drapés dans une sorte de fierté héréditaire, ils négligent ou dédaignent le plus souvent les moyens de parvenir à une meilleure situation. Quant aux Juifs allemands, ils ont profité des avantages d’une longue paix mêlée de liberté pour accroître non-seulement leurs richesses, mais aussi leurs lumières, leur influence et leurs relations sociales, Le moraliste fait des vœux pour que ces deux branches du judaïsme se rapprochent dans un avenir peu éloigné. L’une et l’autre gagneraient au contact et à l’échange de qualités diverses. Quelques faits permettent déjà d’espérer que cette union s’accomplira et que ces vaines distinctions d’origine s’effaceront sur le terrain de l’unité britannique. On peut citer comme un présage heureux de cette union désirable une Institution littéraire et scientifique, récemment fondée à Londres pour tous les Juifs en général, et qui ouvre ses classes, son excellente bibliothèque, à l’Israélite espagnol comme à l’Israélite allemand.

En dehors des distinctions d’origine, on peut diviser la masse des Juifs anglais en trois classes. La catégorie inférieure habite les antres de White-Chapel et les repaires de Petticoatlane. Ces pauvres gens se livrent au trafic des haillons, des verres cassés, des os, des vieux habits. Quelques-uns travaillent dans les manufactures de cigares. C’est le dimanche matin qu’il faut pénétrer dans ces rues étroites, sous ces sombres hangars, dont les murs s’écroulent de vieillesse, et où de mornes chandelles allumées en plein jour triomphent difficilement de l’obscurité humide qui vous enveloppe. Les visages n’ont, je l’avoue, rien de très rassurant, et de bonnes âmes vous préviennent charitablement de veiller sur votre foulard. Les Juifs de la classe moyenne s’attachent au commerce des joyaux, des vêtemens et des objets de confection ; quelques-uns d’entre eux possèdent dans la ville de Londres des magasins considérables. La vente en gros des fruits et surtout des oranges est entre leurs mains. Cette branche de commerce n’est point sans importance : il se vend dans les rues de Londres, année commune, 15 millions d’oranges, qui représentent environ une somme de 40,000 liv. sterl. Très peu d’Israélites colportent eux-mêmes ces fruits, la vente de détail est presque tout entière dévolue aux rudes Maltais ; mais quiconque, aux approches des fêtes de Noël, se promène du côté de Duke’s place peut s’assurer, par ses propres yeux, que le marché est essentiellement juif ; — Au-dessus des pauvres habitans de White-Chapel, au-dessus des riches marchands de la Cité, les banquiers, les agens de change, les artistes, les lettrés, forment enfin ce qu’on peut appeler la classe supérieure de la population juive de Londres.

Les qualités morales des 36,000 Israélites fixés depuis un temps plus ou moins long sur le sol de la Grande-Bretagne ont fort occupé