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chrétiens, exclus comme eux des charges publiques. Ce mouvement fut néanmoins vu avec une sourde défiance par quelques Juifs espagnols et portugais, qui étaient enthousiastes de la maison d’Orange et dévoués aux intérêts de l’aristocratie. D’autres Israélites, hommes d’énergie et de talent, fortement attachés à l’esprit du siècle, formèrent une association politique sous le nom de Félix libertate. Le but de cette association était de maintenir l’égalité qui venait d’être assurée à leurs coreligionnaires et la révolution qui en était la base. Cette différence d’opinions politiques donna même lieu à un schisme dans la synagogue. Il fallut du temps à certains Juifs portugais pour se réconcilier avec leurs nouveaux droits. Ceux-là avaient conservé un peu du caractère des anciens Hébreux, qui, à leur sortie d’Égypte, ne se révoltaient que contre la liberté. La masse des Israélites allemands témoigna au contraire en Hollande qu’elle voyait avec joie la révolution française assurer son émancipation. Cette conquête passa aussitôt dans les mœurs et résista aux événemens qui suivirent. L’état s’était affranchi de l’influence religieuse ; il reposait désormais sur lui-même et sur les intérêts de la nation, au lieu de reposer seulement sur l’église réformée. Au retour de la maison d’Orange, le principe auquel les Juifs devaient leur incorporation dans la société hollandaise ne reçut aucune atteinte. En conséquence ils exercent aujourd’hui dans les Pays-Bas différentes charges publiques. Je ne crois pas qu’on puisse jamais revenir sur un progrès consacré par les constitutions de 1814, de 1815, de 1840 et de 1848. Il faut pourtant que je dise par quelles mains cette arche de la foi politique pourrait encore être menacée. L’affranchissement des Juifs, ce fait accompli, ne paraît avoir d’autres ennemis à craindre dans la Néerlande que le parti des ultra-protestans, qui, comme M. Groen van Prinsterer, voudraient confondre ce que la révolution a séparé, l’église et l’état. La tendance à reléguer les Juifs derrière certaines exceptions légales existe encore : je puis m’en convaincre en lisant les sophismes ingénieux qu’entasse un poète inspiré par cette école, M. da Costa, pour persuader aux Israélites qu’ils étaient beaucoup plus heureux sous le régime de la liberté et de l’égalité restreintes que sous le système actuel.


II

Quelle est cependant en Hollande la situation actuelle de cette race si durement éprouvée ? Pour la bien connaître, plaçons-nous d’abord à la synagogue.

Les Juifs, ayant perdu leur patrie, leur gouvernement, leurs institutions civiles, doivent s’attacher à leurs cérémonies et à leurs réunions