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requête adressée en 1723 par les Israélites hollandais aux états-généraux, et dans laquelle ils protestent contre les incapacités légales qui les frappent. « Vous nous reprochez, disent-ils, d’avoir mis à mort le Juste ; mais si toute la postérité d’une race était enveloppée dans le crime de quelques-uns pour la destruction d’un innocent, toutes les nations du monde devraient s’attendre à être condamnées. Il n’y a pas un siècle, pas un pays qui ne présente des exemples mémorables d’hommes éminens mis à mort par la violence de quelque faction dominante, et cela le plus souvent aux acclamations de la foule. Vous ajoutez, il est vrai, que nous avons mis à mort plus qu’un homme, un Dieu. Dans tous les cas, nous l’ignorions. Votre Sauveur, plus juste envers nous que vous ne l’êtes vous-mêmes, s’écriait sur la croix : « Seigneur, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ! »

Les Juifs espagnols et portugais, désormais fixés sur le sol des Pays-Bas, ne bornèrent point leur ambition ni leur intelligence à la pratique du commerce. Plusieurs d’entre eux continuèrent de cultiver la littérature et les sciences. Parmi les hommes éminens que forma l’enseignement des synagogues de la Hollande, il faut citer le rabbin Menasseh ben Israël, qui était né à Lisbonne en 1604, et qui vint tout enfant à Amsterdam avec son père. Il est un autre Juif célèbre dont je m’étonne de n’avoir trouvé dans la Néerlande aucune statue, aucun portrait. Une tradition généralement reçue veut qu’il soit enterré à La Haye, dans le terrain de l’Ëglise-Neuve, sur le Spui. Du reste, pas une pierre, pas une inscription. Il est là, rien de plus. Ce grand penseur n’a laissé d’autres traces sur la terre natale que ses ouvrages et son nom. Spinoza, car c’est de lui qu’il s’agit, était né à Amsterdam, dans le voisinage de la synagogue. Cette même synagogue des Juifs portugais devint plus tard le théâtre d’une des scènes les plus orageuses de sa vie. Depuis longtemps il disputait avec les rabbins sur les matières religieuses et philosophiques. Une rupture était imminente, elle éclata. Baruch Spinoza fut censuré ; la multitude des Juifs lui adressa même dans une assemblée des menaces de mort. C’est à la suite de son expulsion de la synagogue qu’il fut obligé de quitter Amsterdam pour mettre ses jours en sûreté, qu’il se retira d’abord à Rynsburg, près de Leyde, puis à Voorburg, enfin à La Haye. J’ai vu sa maison dans le voisinage du Spui, une humble maison de philosophe et d’ouvrier où il gagnait sa vie, — un peu de pain et de lait, — à polir des verres. C’est là que, préférant une pauvreté libre à tous les honneurs de la science, il refusa une place de professeur à Heidelberg que lui offrait l’électeur palatin. En sa qualité de protestant orthodoxe, M. da Costa ne saurait être soupçonné de partialité envers Spinoza : il condamne