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qu’on trouve établie entre les Juifs portugais de la Hollande et les Juifs germains. Les deux synagogues continuent de former deux églises parfaitement distinctes et séparées. Le nom de Sephardim (Espagnols) est encore porté à cette heure par les descendans des familles Israélites qui ont séjourné en Espagne et en Portugal. De même que le peuple juif a conservé son caractère inaltérable, son individualité, sa foi nationale, à travers les autres races auxquelles il s’est trouvé mêlé, ainsi les Israélites qui ont émigré de la Péninsule maintiennent, dans toutes les parties du monde, au milieu de leurs propres frères, certains traits qui dévoilent leur origine. Ce qui les distingue des autres enfans de Jacob, ce ne sont pas seulement les souvenirs historiques ; c’est aussi, il faut le dire, la position sociale. Les Juifs espagnols formaient en Hollande l’aristocratie de la race dispersée. À Amsterdam, ils demeuraient dans les quartiers le mieux situés, et ils contribuèrent à doter de magnifiques hôtels cette riche capitale. À La Haye, ils vivaient aussi dans de somptueuses maisons, dont quelques-unes sont même devenues des édifices publics. Ces maisons, qui respirent un air de grandeur, se groupent autour de leur synagogue[1], située dans un des quartiers les plus agréables de la ville. Longtemps même ils ont conservé l’usage de la langue portugaise ou espagnole comme un souvenir de leur glorieux passage sur la terre de la Péninsule. Jusqu’au commencement de ce siècle, ils se servaient de ces deux idiomes dans leur vie domestique et dans leurs rapports mutuels. À la synagogue, on priait alternativement en portugais et en hébreu ; ces étrangers parlaient ainsi à Dieu dans les deux langues de l’exil[2].

Plusieurs motifs déterminèrent la Hollande protestante à améliorer la condition des Juifs. La réformation, dit M. da Costa, avait à cœur de créer de nouveaux et de dangereux ennemis à ses persécuteurs. Les principes de tolérance qui furent le fruit de cette grande révolution religieuse contribuèrent aussi à adoucir la politique du gouvernement envers des étrangers qui avaient perdu leur patrie. Il faut dire, à l’honneur de la Hollande, que ses stathouders et ses premiers hommes d’état professèrent cette doctrine d’humanité. « Les chrétiens primitifs, s’écriait le grand de Witt, ont converti par les voies de douceur et de persuasion un bon nombre de Juifs. Nous avons changé de conduite envers eux ; mais pouvons-nous aussi nous réjouir

  1. Cette synagogue fut érigée dans la première moitié du XVIIIe siècle ; mais l’établissement des Juifs à La Haye date du milieu du siècle précédent.
  2. Jusque dans ces derniers temps, le prêche se faisait en langue portugaise, et la Bible était lue au sein des familles en castillan. L’église Israélite est beaucoup moins formaliste qu’on ne se plaît généralement à le croire. Le culte de l’esprit, l’instruction morale et religieuse, y occupent une grande place.