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parurent dans les Pays-Bas, il ne restait plus aucune trace des Juifs français[1] et allemands, que des arrêtés successifs avaient balayés. Les premières tentatives des Israélites pour se rétablir dans les Flandres et dans les Provinces-Unies remontent à l’année 1516. À cette époque, quelques réfugiés espagnols se présentèrent devant Charles-Quint, le petit-fils de Ferdinand et d’Isabelle, pour renouveler les propositions faites par les Juifs à ses prédécesseurs. Ils demandaient la permission de résider et d’exercer leur religion dans cette partie des états impériaux. Leur requête ne fut point écoutée : de sévères édits exclurent au contraire les nouveaux chrétiens (c’est ainsi qu’on appelait les Juifs baptisés) de la Hollande, aussi bien que de l’Espagne. Les négociations furent reprises sous le règne de Philippe II, et, comme on peut s’y attendre, elles obtinrent encore moins de succès. Nonobstant ces prohibitions et ces édits, plusieurs familles israélites avaient pénétré dans les provinces de la Néerlande avant la séparation de l’Espagne. Leur religion avait, depuis longtemps, cessé d’être tolérée ; mais en pratiquant leurs rites dans le plus grand secret, en se couvrant de noms chrétiens, elles purent vivre, quelques-unes même prospérèrent. Ces Juifs, cachés sous le baptême, étaient surtout nombreux dans la ville d’Anvers, où ils avaient établi une académie pour l’étude de l’hébreu et de la littérature espagnole. Les ancêtres de plusieurs familles fixées maintenant à Amsterdam ou à La Haye ont ainsi résidé tout d’abord dans la vieille Antuerpe, à deux pas de cet Océan qui les avait apportés et qui pouvait, d’un jour à l’autre, les reprendre comme les débris d’un naufrage. Cependant la réformation, à laquelle les Juifs s’associèrent de toutes leurs sympathies, commençait à agiter l’Allemagne. Dans les Pays-Bas, l’excès du pouvoir avait usé le pouvoir même, et les Provinces-Unies venaient de proclamer leur indépendance. Ce fut d’Embden qu’en l’année 1594 dix Juifs de familles portugaises vinrent à Amsterdam, où ils reprirent leurs noms israélites[2]. Ils étaient accompagnés par un rabbin allemand de la ville d’Embden[3]. Ce service ne fut pas oublié : la synagogue d’Amsterdam, par un sentiment de reconnaissance qui l’honore, accorda plusieurs privilèges à la postérité de ce rabbin, qui avait introduit les Juifs dans cette seconde terre promise. Un mémorial conservé dans la même synagogue témoigne qu’en 1596 une grande fête mosaïque,

  1. Ces Juifs réfugiés dans les Pays-Bas avaient été chassés de France par Philippe le Bel.
  2. Les Juifs portaient alors assez généralement deux noms : l’un qui constatait pour ainsi dire leur existence civile, l’autre qui constatait leur existence religieuse.
  3. Cette ville était à cette époque un lieu de refuge pour les protestans proscrits des Pays-Bas.