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des lettres sur les personnes auxquelles ils avaient confié leurs richesses ; ces lettres furent acquittées, « L’invention admirable des lettres de change, dit d’Alembert, sortit alors du sein du désespoir. Grâce à ce mécanisme économique, le commerce put éviter la violence et se maintenir par tout le monde. »

On accuse, il est vrai, les Juifs d’avoir abusé de leurs moyens industrieux pour pressurer, durant le moyen âge, les populations chrétiennes. M. da Costa assigne à la conduite intéressée des Juifs modernes plusieurs causes, dont deux méritent d’être méditées : le mépris des classes nobles pour les pratiques financières, mépris qui faisait nécessairement tomber toutes les opérations de banque entre les mains des Juifs ; la position dégradante infligée à ces parias de l’Occident, qui les autorisait à se considérer eux-mêmes comme des étrangers et à traiter les chrétiens en ennemis. « Le commerce, dit-il, dans la situation où étaient placés les Israélites de ce temps-là, devait prendre une tournure fâcheuse de trafic, et les spéculations financières devaient dégénérer en usure. » La lèpre de l’usure, telle était en effet la plaie morale qui avait succédé à l’antique maladie de la race. « L’énorme taux de l’intérêt prélevé par les Juifs du moyen âge, ajoute leur historien, ne saurait être défendu. Leur exclusion de toute charge publique et de toute carrière honorable, leur vie sans cesse menacée, leur propriété et leurs moyens de subsistance sans défense contre l’injustice et l’oppression, tout cela cependant explique comment les Juifs employaient sans scrupule les seules armes qui étaient laissées dans leurs mains. Faut-il s’étonner ensuite si à la violence ils opposèrent l’artifice et la ruse, s’ils cherchèrent à déjouer la loi du plus fort par le calcul et la profondeur des intrigues, si en un mot ils se couvrirent de la puissance de l’or contre la puissance du fer ? L’abus ne saurait d’ailleurs effacer les services très réels que les Juifs ont rendus à la théorie et à la pratique des affaires. Dans les âges féodaux, le commerce se calqua sur les institutions militaires, le prêt à intérêt dégénéra en extorsion ; mais il ne faut pas oublier que, sous cette forme condamnable, les financiers juifs ouvraient du moins une des grandes artères de la circulation économique, le crédit.

Nombre des familles juives qui avaient été chassées de l’Espagne et du Portugal cherchèrent un refuge dans les Pays-Bas. Les Israélites s’étaient autrefois établis dans les provinces belges et néerlandaises, où ils étaient en possession du commerce. Différens édits et des actes d’autorité locale les avaient ensuite expulsés ; on attribue même la décadence du commerce de Liège au bannissement des premiers Israélites que l’intolérance religieuse avait chassés de cette fameuse cité épiscopale. Lorsque les Juifs espagnols et portugais