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juges. Dépouillés, errans sur toutes les mers et toutes les terres, leur foi s’enracinait par les souffrances. Là est peut-être, en partie du moins, la réponse à la question que s’adresse dans son livre sur Israël M. da Costa : « Comment se fait-il que mon peuple continue d’être une nation après avoir perdu tous les élémens nécessaires à l’existence nationale ? » Incarnation de l’unité de Dieu dans les temps anciens, ce peuple se soutenait au moyen âge appuyé sur un dogme et sur la haine que lui avait vouée le genre humain. Les Juifs espagnols et portugais portèrent hors de la Péninsule leurs lumières et leur industrie. En Italie, ils s’emparèrent de l’imprimerie, qui venait de naître, et contribuèrent ainsi au mouvement de la réformation en répandant, avec la connaissance de l’hébreu, ces magnifiques éditions de la Bible en caractères sacrés, qui sont restées comme des monumens de la typographie. Les autres cherchèrent leurs ressources dans le commerce.

À l’origine, les Hébreux ne constituaient point un peuple marchand ; c’était un peuple pasteur. Israël vivait sous la tente. La transformation du peuple juif en un peuple commerçant est un des exemples les plus singuliers des changemens que les circonstances peuvent opérer dans les inclinations d’une race. C’est seulement depuis leur expulsion de la Judée par les Romains que les Hébreux se sont généralement livrés au négoce. Plusieurs causes ont contribué à graver chez eux ce nouveau caractère, qui est devenu avec le temps plus ou moins indélébile. Déclarés presque partout incapables de posséder les terres ; les Juifs modernes ne pouvaient point se livrer aux travaux de l’agriculture. Vivant sous le régime des ordonnances, ou, pour mieux dire, sous le caprice des gouvernemens absolus, privés de la sécurité qui fonde les établissemens durables, ils ne devaient point non plus s’attacher à l’industrie. La seule voie qui leur fût ouverte était le commerce. La profession de marchand se trouvait alors méprisée par la plupart des peuples de l’Europe : de la vient qu’on l’abandonna aux Juifs. Quand on t réfléchit, on reconnaît tout ce que ce dédain avait d’injuste et d’absurde. Le commerce n’échange pas seulement des produits, il échange des idées : il est le lien par lequel s’est établie jusqu’à un certain point dans les temps modernes l’unité du genre humain. Le développement du négoce s’associe, dans l’histoire des sociétés, au développement des arts, des sciences et de la navigation. Les Juifs modernes ont été, sous ce rapport, les instrumens du progrès matériel et moral des nations européennes. À une époque où le système des relations internationales était pauvre, les Israélites marchands ont accompli une mission historique. Bannis de France sous Philippe le Long en 1318, les Juifs se réfugièrent en Lombardie, et y donnèrent aux négocians